
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Un myxomycète intelligent – une mémoire sans système nerveux.
Les myxomycètes sont fascinants. Ils étaient à l’origine classés parmi les champignons (d’où le nom de slime mold ou “moisissure visqueuse”) mais ont ensuite été regroupés dans le règne des protistes. Un protiste est un organisme eucaryote (les cellules contiennent un noyau) qui n’est ni un animal, ni une plante, ni un champignon. Les myxomycètes sont uniques : ils se trouvent à la croisée des chemins entre les règnes végétal, animal et fongique et nous donnent un aperçu de l’histoire de l’évolution des eucaryotes.

Le mollusque Physarum polycephalum (ou “le mollusque à plusieurs têtes”, alias “le Blob“) a fait l’objet de nombreuses études en laboratoire. Leur corps est une grande cellule, composée de “tubes” qui forment un réseau complexe pouvant s’étendre sur des centimètres, voire des mètres ! On les trouve dans des habitats humides et ombragés, comme le sol des forêts ou l’écorce (morte) des arbres. Mais P. polycephalum suscite l’intérêt pour une autre raison. Il semble capable de mémoriser des informations sur la disponibilité (passée) de la nourriture, une caractéristique généralement liée aux organismes dotés d’un système nerveux (cognition). En outre, ils peuvent trouver le chemin le plus court dans un labyrinthe en arrangeant continuellement leur corps tubulaire. Récemment, il a même été lancé dans l’espace avec Thomas Pesquet pour étudier comment la microgravité affecte son comportement !
Normalement, les espèces dépourvues de système nerveux peuvent encoder une certaine forme de mémoire grâce à des stratégies alternatives, notamment l‘épigénétique, les horloges circadiennes réglables (les bactéries savent-elles l’heure qu’il est? A lire ici) et la mémoire cellulaire pendant la chimiotaxie. Ces actions prennent au moins une demi-heure, voire une journée entière, pour se produire, ce qui ne permet que des “décisions lentes”. Cependant, P. polycephalum semble prendre des décisions en 10 à 20 minutes pour résoudre des problèmes complexes, ce qui laisse supposer une stratégie alternative inconnue.
Dans une étude récente, Mirna Kramar et Karen Alim ont étudié comment le myxomycète y parvient. Plus précisément, elles ont étudié comment l’emplacement d’une source de nutriments est codé dans la morphologie du réseau. Elles ont introduit une source de nutriments à proximité de la moisissure gluante et ont observé que les tubes les plus proches de la nourriture s’élargissaient et que les tubes les plus éloignés de la nourriture semblaient se rétrécir. Le résultat est que le myxomycète s’est réorganisé en fonction de la nourriture et a pu migrer vers la source de nourriture. Mais quel est le mécanisme sous-jacent de ce comportement ?

Les chercheurs ont constaté que la vitesse de dilatation des tubes correspondait à la vitesse des particules circulant dans le réseau de tubes : 15 micromètres par seconde, soit 5,4 centimètres par heure (à titre de comparaison, l’escargot moyen peut parcourir 4800 cm/h). Les chercheurs ont émis l’hypothèse qu’il devait exister un signal chimique qui utilise le réseau comme une autoroute. Et en effet, ils ont constaté que dès que le myxomycète entrait en contact avec une source de nourriture, un agent chimique soluble était libéré dans le cytoplasme (l’intérieur des tubes visqueux), ce qui ramollissait la paroi des tubes et déclenchait leur élargissement. Cet effet se propage dans tout le réseau, le produit chimique étant transporté dans le réseau par les flux cytoplasmiques.
Comme la dilatation des tubes est permanente (du moins, la dilatation a duré jusqu’à la fin de l’expérience), les sources de nourriture précédentes sont “encodées” dans le réseau par les zones qui ont des tubes plus grands. Et plus la source de nourriture est proche, plus les tubes sont gros (plus de produits chimiques disponibles). Le volume total du myxomycète ne change pas, donc si certaines parties du réseau s’étendent, d’autres parties doivent rétrécir, ce qu’ils ont également constaté dans leurs expériences. Lors de l’introduction d’une source de nourriture plus éloignée du grand réseau de tubes, le myxomycète s’est réorienté en dilatant les tubes proches des nouveaux nutriments et en rétrécissant l’ancien système de tubes. Ainsi, l’ancienne “mémoire” de la source de nourriture précédente est maintenant écrasée par la nouvelle source de nourriture.

(1) Les tubes du myxomycète se développent dans des directions aléatoires.
(2) Lorsque le tube est suffisamment proche d’une source de nourriture, des signaux externes sont perçus.
(3) Un agent chimique est libéré dans le cytoplasme et transporté dans le réseau de tubes.
(4) En raison de la concentration de l’agent chimique, la paroi du tube est ramollie et les tubes les plus proches de la source de nourriture s’élargissent. Ce qui provoque le rétrécissement de la partie éloignée du réseau.
Créé dans Biorender.
Les chercheurs ont construit un modèle mathématique pour simuler la détection et la réaction de la moisissure vis à vis d’une source de nourriture potentielle et l’ont comparé aux données expérimentales. Les prédictions ressemblaient fortement à ce qu’ils ont vu dans les expériences !
Les résultats de la recherche permettent non seulement de mieux comprendre les capacités de résolution des problèmes de P. polycephalum, mais ils pourraient également contribuer à l’avancement de la production de “matériaux intelligents” ou de “robots mous”. Par exemple, ces robots peuvent adapter leur morphologie à des environnements non structurés, et/ou porter et toucher des objets fragiles car ils ont des composants flexibles. Cela les rend utiles pour des applications de sauvetage et d’interaction humaine telles que les soins aux personnes âgées et les prothèses. En utilisant les modèles et la théorie basés sur les mécanismes relativement simples de P. polycephalum, ces matériaux pourraient être dotés de nouvelles propriétés telles que la capacité d’interagir avec et de répondre aux signaux environnementaux.
Featured image: https://en.wikipedia.org/wiki/File:Physarum_polycephalum_plasmodium.jpg
Traduit par: Anaïs Biclot