Les plastiques dans le sol

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Les plastiques dans le sol

Nous avons tous entendu parler des tonnes et des tonnes de plastique qui finissent dans l’océan. Mais saviez-vous que, chaque année, 2 à 23 fois plus de plastiques finissent dans le sol que dans les océans ? C’est du moins ce qui ressort des calculs effectués dans cette nouvelle étude. Les plastiques peuvent pénétrer dans le sol par le biais des boues d’épuration, de la fertilisation des engrais organiques, de l’élimination des effluents d’eaux usées et/ou du paillage plastique, et des dépôts atmosphériques.

Les plastiques sont en passe de devenir des microplastiques. Source :
https://www.wtert.net/news/433/Microplastic-Pollution-Caused-by-Laundry.html

Le sol est constitué de trois composants primaires différents, le sable, le limon et l’argile, ainsi que de matières organiques et d’autres particules. Lorsque ces composants s’agglutinent, nous les appelons des “agrégats de sol”. Ces agrégats ont des formes différentes, et cette combinaison permet la formation de pores qui peuvent contenir de l’air ou de l’eau. Les plastiques, en revanche, augmentent l’agrégation du sol et perturbent la formation d’un “sol sain”. En d’autres termes, l’ajout de plastiques modifie la porosité du sol qui, à son tour, a une influence sur la croissance des racines des plantes mais aussi sur la dispersion et/ou la disponibilité des nutriments et le pH.

Les plastiques modifient non seulement les propriétés du sol, mais aussi les communautés microbiennes qui s’y trouvent. Malheureusement, nos connaissances à ce sujet sont encore limitées car l’effet de chaque type de plastique change en fonction du sol et du type de polymère plastique. Par exemple, une étude antérieure a montré que les plastiques pouvaient réduire le pH d’un sol acide, mais pouvaient augmenter le pH d’un sol alcalin.

Dans leur étude, Shi et al. ont examiné l’effet de trois types de microplastiques dans quatre types de sols. Le traitement et le stockage du carbone étant une fonction cruciale du bon fonctionnement de l’écosystème du sol, les chercheurs se sont concentrés sur les émissions de CO2 et les caractéristiques de la matière organique dissoute. Plus intéressant encore, ils ont également examiné la réponse des communautés bactériennes au stress induit par les plastiques.

Les quatre sols utilisés dans cette étude ont été collectés dans différentes provinces chinoises :

Le sol cannelle (loam) contient de la matière organique et convient à la culture de la plupart des plantes.

Le sol jaune cannelle (loam) est un type de sol très répandu en Chine. Cependant, sa mauvaise structure de sol et sa faible fertilité limitent la productivité des cultures.

La terre noire (loam limoneux) fait partie de la couche arable ; les granules sont plus petits que le sable. Si vous la frottez entre vos doigts, elle semble limoneuse. Avec une forte densité de matière organique, la terre noire est très adaptée à la culture.

La terre rouge (argile limoneuse) est largement répandue dans les régions tropicales et subtropicales de la Chine et est potentiellement le sol le plus important pour la production alimentaire dans le monde.

Types de sols selon la composition en argile, limon et sable, tels qu’utilisés par le ministère de l’agriculture des États-Unis. Source :
https://en.wikipedia.org/wiki/File:SoilTexture_USDA.svg

Les trois plastiques (PA, PE et PET) ont tous été ajoutés sous forme de poudre à une concentration de 0,5 % adaptée à l’environnement. Cependant, certains sols ont été signalés comme contenant jusqu’à 6,5 % de plastique !

Le polyamide-6 (PA) est le matériau de construction le plus important utilisé dans de nombreuses industries, telles que l’industrie automobile, l’industrie aéronautique, l’industrie électronique et électrotechnique, l’industrie du vêtement et la médecine.

Le polyéthylène (PE) est le plastique le plus communément utilisé aujourd’hui, et on le trouve principalement dans les emballages tels que les sacs et les films plastiques.  

Le polyéthylène téréphtalate (PET) est utilisé pour fabriquer des fibres pour les vêtements et des récipients alimentaires en plastique.

Les chercheurs ont constaté un changement faible mais non significatif de la diversité alpha (c’est-à-dire la diversité des espèces au sein de chaque type de sol) dans le sol où du PA a été ajouté. De même, si l’on examine la diversité bêta (c’est-à-dire la diversité des espèces entre les types de sol), aucune différence nette n’a été constatée entre les échantillons témoins (sans ajout de plastique) et les différents traitements en plastique.

Alpha-diversité vs. bêta-diversité. Source:
https://en.m.wikipedia.org/wiki/File:Biodiversity.png

Cependant, l’effet des différents plastiques différait selon le type de sol : trois types de plastiques ont augmenté le pourcentage de protéobactéries dans le sol cannelle alors qu’ils ont diminué le nombre de protéobactéries dans le sol rouge. Ces résultats indiquent donc que c’est le type de sol qui a le plus d’influence sur les changements microbiens, et non le type de plastique.

Les chercheurs ont ensuite examiné la cooccurrence des bactéries par le biais de ce que l’on appelle les “réseaux d’interaction”. En bref, ces réseaux montrent si les bactéries se trouvent couramment ensemble ou si les micro-organismes ont une relation positive ou négative les uns avec les autres. Ils ont constaté que, par rapport au groupe témoin, les réseaux des groupes en plastique comportaient moins de nœuds (espèces pouvant être connectées), moins d’arêtes (espèces connectées à moins d’autres espèces) et moins d’espèces clés (espèces connectées à de nombreuses autres espèces et jouant le rôle de “plaque tournante”). Les chercheurs ont également remarqué que le pourcentage d’interactions négatives dans le réseau diminuait.

Les microplastiques influencent les réseaux microbiens. La quantité d’espèces (points) et leurs connexions (lignes) diminuent lorsque des plastiques sont ajoutés au sol (PA, PET et PE), par rapport au contrôle (CK). Source : l’article original

Bien que la diversité des espèces ne soit pas nécessairement modifiée par la présence de plastiques dans le sol, les résultats décrits ci-dessus montrent que les microplastiques peuvent influencer la cooccurrence bactérienne et, par conséquent, réduire la stabilité du réseau. Les écosystèmes instables sont sensibles aux petits changements, ce qui conduit à l’effondrement d’une communauté qui ne peut plus remplir sa fonction initiale. Les microbes jouent un rôle important dans le cycle des nutriments dans le sol, la décomposition des résidus de culture, la suppression des maladies et la simulation de la croissance des plantes. Lorsque ces écosystèmes sont perturbés, le rendement des cultures peut diminuer ou le sol peut même devenir inhabitable pour les plantes.


Article original: J. Shi, Y. Sun, X. Wang, J. Wang. 2022. Microplastics reduce soil microbial network complexity and ecological deterministic selection. Society for Applied Microbiology. 2157-2169.

Featured image: https://www.flickr.com/photos/chesbayprogram/16999295662

Traduit par Anaïs Biclot