Conseils de Mucus sur les relations

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Conseils de Mucus sur les relations

Une relation amour-haine

L’intestin humain abrite des trillions de bactéries. Ces habitants microbiens sont nécessaires à notre santé. Ils nous aident à digérer les aliments que nous mangeons, éduquent notre système immunitaire afin que nous puissions mieux répondre aux agressions des agents pathogènes, et communiquent avec notre cerveau pour contribuer à maintenir l’homéostasie cognitive. Néanmoins, entretenir cette relation apparemment harmonieuse demande beaucoup d’efforts. Une symbiose efficace entre l’hôte et les microbes, comme toute relation, exige un équilibre entre une communication coopérative et des limites saines. Nous voulons parler à nos microbes, mais nous ne voulons pas qu’ils soient si proches de nous que notre corps essaie de les combattre. S’ils s’approchent trop, notre système immunitaire s’activera et provoquera une inflammation excessive. Personne ne souhaite cela. Alors, comment notre corps peut-il établir une limite qui nous permette d’interagir avec nos résidents microbiens, sans qu’ils s’approchent suffisamment pour provoquer une réponse immunitaire active ?

La réponse se trouve dans un mot souvent mal aimé : le mucus !

Figure 1. La séparation entre nous et nos microbes. La barrière de mucus sépare nos cellules de nos microbes intestinaux. La couche de mucus est constituée de glycoprotéines, appelées mucines, qui forment une structure matricielle (figure réalisée à l’aide de Bioicons et d’Adobe Illustrator).

Garder nos microbes à distance grâce au mucus

Pour tenir nos microbes à distance, nos cellules intestinales sécrètent une couche de mucus qui agit comme une barrière physique contre les microbes. Le mucus est une structure gélatineuse composée principalement de glycoprotéines (protéines attachées à des molécules de sucre) appelées mucines (figure 1). On trouve des couches de mucus dans la plupart des ” sites barrières ” : les parties du corps qui sont en contact avec l’environnement extérieur, notamment nos voies respiratoires et digestives. Cette couche protectrice agit comme une barrière physique, empêchant les microbes d’envahir nos systèmes. Cependant, le mucus n’est pas seulement un signe d’exclusion pour les microbes de l’intestin, il peut aussi leur servir de source de nutrition. Les bactéries peuvent mâcher les sucres de la mucine à l’aide d’enzymes (appelées mucinases) pour obtenir de l’énergie. Ainsi, la symbiose hôte-microbe est activement maintenue dans nos couches muqueuses.

Comme vous pouvez l’imaginer, si nos microbes deviennent gourmands et rongent une trop grande partie de notre couche de mucus, celle-ci deviendra plus mince et plus inégale. Cette brèche dans la barrière permettra aux microbes de pénétrer plus facilement dans notre système, provoquant une inflammation. Il est clair que le mucus doit maintenir un équilibre entre l’alimentation de nos bactéries intestinales et leur maintien à distance. Mais comment parvient-il à cet équilibre ? Une étude récente de Yao et de ses collègues laisse entrevoir une réponse possible : la sialylation !

Figure 2. L’acide sialique sauve la mise. Notre mucus est stabilisé par la ST6, une enzyme qui ajoute des molécules d’acide sialique sur les sucres qui composent la mucine. Cette modification chimique protège les mucines de la dégradation par les enzymes bactériennes (figure réalisée avec Bioicons et Adobe Illustrator).

Stabiliser notre mucus par l’ajout d’acides sialiques

La sialylation est l’ajout d’une molécule d’acide sialique sur les glycoprotéines de mucine. Yao et al. montrent que lorsqu’une molécule d’acide sialique est fixée aux mucines par une enzyme appelée ST6, ces protéines sont protégées de la dégradation par les enzymes bactériennes (Figure 2). Les auteurs ont découvert cela en mélangeant MUC2, la mucine prédominante dans le mucus gastro-intestinal, avec une mucinase de E. coli en présence ou en l’absence de ST6. Lorsque la ST6 est absente, les mucines ne sont pas sialylées. Dans ce scénario, ils ont remarqué une dégradation accrue de MUC2, ce qui implique que la sialylation est nécessaire pour empêcher les mucines de devenir de la nourriture bactérienne. Ainsi, nos cellules peuvent utiliser cette modification pour s’assurer que notre couche de mucus reste intacte. Cette enzyme, ST6, peut réguler la proportion de nos mucines qui peuvent être mâchées par nos bactéries, contribuant ainsi à maintenir la symbiose hôte-microbe.

Défauts de sialylation associés à l’inflammation

Après avoir compris comment le ST6 peut contribuer à équilibrer la relation microbe-hôte, les auteurs ont cherché à savoir si cette découverte était pertinente pour la santé humaine. Ils ont examiné des cohortes mondiales de patients atteints de maladies inflammatoires de l’intestin (MII), une série de troubles qui entraînent une inflammation intestinale chronique. Il est intéressant de noter qu’ils ont trouvé des mutations germinales du gène ST6 chez des personnes atteintes de MII à apparition précoce. Les auteurs ont généré des modèles de souris en introduisant les mutations ST6 identifiées chez les patients humains dans des lignées germinales de souris. Ces modèles de souris ont récapitulé les hypothèses des auteurs ; les souris mutantes ST6 présentaient une réduction de la sialylation de la mucine, une invasion accrue du mucus intestinal par le microbiote intestinal et une inflammation plus grave du côlon. Lorsque ces souris mutantes ont été nourries avec des mucines non mutées, les symptômes ont disparu ! Les souris présentaient désormais des barrières de mucus épaissies et une réduction marquée de l’inflammation, ce qui confirme que la ST6 est essentielle pour garantir que le mucus est parfaitement équilibré entre la protection contre l’invasion et la nutrition de nos microbiomes intestinaux (figure 3).    

Figure 3. La sialylation protège de l’inflammation. Les souris dont la ST6 est mutée ont un mucus non sialylé, ce qui entraîne une dégradation excessive du mucus par les bactéries intestinales, une invasion bactérienne de la barrière et une inflammation intestinale. Lorsqu’on leur donne de la mucine sialylée provenant de souris non mutantes, les mutants ST6 présentent une inflammation réduite, ce qui indique que la déficience en ST6 peut être corrigée par l’ajout de mucine sialylée (figure réalisée à l’aide de Bioicons et d’Adobe Illustrator).

Le mucus : un ami et un ennemi des bactéries

Notre barrière muqueuse est la première ligne de défense contre les agents pathogènes dans l’intestin. Cependant, elle abrite également une grande diversité de microbes intestinaux qui nous aident de multiples façons. Dans cette étude, les auteurs ont établi une voie qui permet de réguler la relation avec nos bactéries intestinales. Grâce à ce mécanisme, nos cellules intestinales peuvent contrôler la part de notre mucus qui combat ou qui nourrit nos microbes. Cet équilibre parfait fait du mucus un expert du maintien de la symbiose. Son conseil en matière de relation ? Restez souple, équilibré et toujours sialylés


Article original: Yao, Y., Kim, G., Shafer, S., Chen, Z., Kubo, S., Ji, Y., Luo, J., Yang, W., Perner, S. P., Kanellopoulou, C., Park, A. Y., Jiang, P., Li, J., Baris, S., Aydiner, E. K., Ertem, D., Mulder, D. J., Warner, N., Griffiths, A. M., Topf-Olivestone, C., … Lenardo, M. J. (2022). Mucus sialylation determines intestinal host-commensal homeostasis. Cell, 185(7), 1172–1188.e28.

Featured image: Created by author using Bioicons and Adobe Illustrator.

Traduit par Anaïs Biclot