Les saveurs des microbes du pain au levain.





De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Les saveurs des microbes du pain au levain.

Le pain est un élément important dans beaucoup de cultures, et peut-être encore plus en France : qui peut résister à une baguette encore chaude sortant de la boulangerie ? Le pain au levain est un aliment fermenté par une communauté de microbes comprenant principalement des levures (champignons unicellulaires) et des bactéries lactiques ou acétiques. Ce microbiome produit du CO2, qui fait monter la pâte et donne une mie aérée, ainsi que des acides organiques (notamment acides lactique et acétique).

La fabrication de pain au levain nécessite du levain (parfois appelé mère de levain), qui est en fait un stock de cette communauté microbienne que l’on cultive et maintient précieusement (un peu comme un animal de compagnie que l’on a besoin de nourrir régulièrement, sauf qu’on le garde généralement au frigo). Faire du levain est assez facile, et ne nécessite que de l’eau, de la farine (de préférence complète ou semi-complète, le seigle étant le plus adapté pour démarrer), et un peu de patience. Le levain peut aussi être acheté, ou simplement donné par quelqu’un qui en a déjà. Quel est le lien entre composition du levain et la saveur et la texture du pain ?

Le levain est fait à partir d’eau et de farine (Initial starter), il est ensuite nourri régulièrement. Quand il est prêt (Active starter), il peut alors servir pour la fabrication du pain et c’est le levain qui va faire monter la pâte et donner ce goût si particulier au pain au levain.  Figure de l’article original.

Alors que la plupart des études ont été faites sur des échantillons de levains européens, Elizabeth Landis et ses collègues ont collecté 500 levains partout dans le monde. La plupart de ces levains provenaient des États-Unis, mais aussi du Canada, d’Europe et d’Océanie. Afin d’étudier la composition de ces communautés microbiennes, ils ont procédé au séquençage de l’ADN.  Au total, les levains étudiés comprenaient 7 bactéries et 35 levures différentes, même si la plupart étaient principalement composés d’une seule bactérie et/ou levure. Par exemple, la bien nommée « levure du boulanger » Saccharomyces cerevisiae représentait plus de la moitié des levures dans plus de 77% des levains. Du côté des bactéries, c’est Fructilactobacillus sanfranciscensis (précédemment nommée Lactobacillus sanfranciscensis) qui est la plus abondante dans la plupart des levains. Les auteurs ont aussi découvert que les bactéries acétiques, souvent négligées, étaient présentes dans environ 20% des levains, même si à faible abondance.

Les scientifiques ont ensuite cherché à comprendre ce qui pouvait expliquer les différences observées dans la composition des levains. Ni l’origine géographique, ni les 33 autres paramètres mesurés (âge du levain, conservation à température ambiante ou au frigo, fréquence de nourrissage et type de farine utilisée, caractéristiques de l’habitation, climat) ne permettent d’expliquer les variations observées. Cependant, ils se sont rendus compte que certaines espèces étaient plus abondantes dans certaines conditions. Par exemple, les jeunes levains sont souvent riches en Lactobacillus plantarum et L. brevis, alors que les plus âgés contiennent plutôt F. sanfranciscensis. Le graphique ci-dessous montre les relations qui ont pu être observées, plus une espèce se trouve loin de l’axe du zéro, plus le paramètre a un effet important sur la présence de la levure ou de la bactérie.

Figure adaptée de l’article original

Enfin, les chercheurs se sont intéressés au profil aromatique et à l’influence de la composition du levain sur celui-ci. Ils ont mesuré les composés organiques volatils, des composés qui sont responsables des différents goûts, émis par 40 levains. Ils ont trouvé 14 saveurs dominantes, allant de « fermenté », à différents types d’acides, en passant par les plus originaux « pomme verte » et « solvant », et ont découvert que les différences de saveurs étaient liées aux bactéries acétiques, les mêmes qui étaient souvent négligées auparavant ! Bien que présentes à faible abondance, elles semblent avoir une importance déterminante dans les saveurs des levains : parfois, ce sont les moins reconnus ont les plus grands pouvoirs !

Podcast Vilain Levain !


Article: Landis, E. A. et al. The diversity and function of sourdough starter microbiomes. Elife 10, 1–24 (2021).

Doi: 10.7554/eLife.61644


Traduit par: Théophile Grébert