
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Manger du vent!
La partie la moins plaisante lorsque je mange de la glace, c’est le ‘brain freeze’, ou cette sensation de gel du cerveau. Imaginez que je vous demande de vivre avec cette sensation non pas quelques instants, mais jusqu’à la fin de temps. Je suis sûr que ça vous déplairait! Tout comme vous, la plupart des organismes n’aimeraient ni cette sensation ni vivre sur le continent le plus froid de la planète, l’Antarctique.
Presque tous les organismes vivants apprécieraient des conditions de vie où tout est parfait – la bonne température, une concentration en sel idéale, de la lumière et des ressources alimentaires. Cependant, les terres glaciales de l’Antarctique constituent un défi pour la vie en présentant des conditions défavorables telles qu’une température extrêmement basse, l’absence de nourriture et d’eau, et la saisonnalité lumière-obscurité.
Dans un environnement favorable, les producteurs de l’écosystème, généralement des plantes, utilisent la lumière du soleil pour fixer le dioxyde de carbone de l’environnement en une molécule simple : le glucose (carbone organique). Le glucose est ensuite utilisé comme source d’énergie primaire par les producteurs eux-mêmes, qui sont des photoautotrophes (photoautotrophes = photo → lumière + auto → soi + troph → alimentation), puis par les niveaux successifs de la chaîne alimentaire. Ceux qui ne peuvent pas fabriquer leur propre nourriture dépendent des autres et sont appelés hétérotrophes (heterotrophs = hetero →autre + troph →alimentation). Certains organismes mangeraient directement les producteurs, tandis que d’autres s’attaqueraient à ces organismes mangeurs de producteurs. Cependant, le climat de l’Antarctique ne facilite pas cette dynamique.
Ces conditions de vie stressantes font fuir la plupart des grosses créatures. Néanmoins, il s’avère que les êtres microscopiques sont assez flexibles et peuvent survivre dans le climat rude de l’Antarctique.
L’équipe d’Ortiz et Leung a étudié le sol de 16 sites en Antarctique. Malgré une teneur en carbone organique étonnamment faible, le sol abritait un nombre remarquable de bactéries et d’organismes similaires avec, tout de même, une variabilité dans la composition des communautés dans les échantillons. En outre, les bactéries échantillonnées sont indigènes au sol de l’Antarctique et pourraient avoir évolué à partir d’organismes natifs du sol vieux de 700 à 880 millions d’années. Étant donné les mauvaises conditions de vie, comment ces bactéries se procurent-elles de la nourriture et de l’eau – comment survivent-elles ?
Les analyses génétiques et biogéochimiques des chercheurs révèlent diverses stratégies adoptées par les bactéries pour se nourrir et survivre. Tout d’abord, presque tous les membres de la communauté effectuent leur respiration en présence d’oxygène. Ensuite, de nombreux membres ont recours à un mélange d’autotrophie et d’hétérotrophie (mixotrophes). Il est intéressant de noter que les organismes abondants tirent leur énergie de certains gaz de l’atmosphère, une source illimitée de gaz, pour obtenir des molécules riches en énergie, principalement en oxydant l’hydrogène et/ou le monoxyde de carbone. Certaines bactéries peuvent également oxyder le méthane. De plus, l’oxydation de l’hydrogène atmosphérique permet à ces bactéries de produire de l’eau ! Ce mécanisme de production d’eau peut aider ces bactéries à rester hydratées. Par conséquent, même en cas de pénurie de carbone organique ou d’eau permettant le transport de molécules non gazeuses, ces bactéries peuvent persister.

En dehors de ces stratégies, les bactéries ont d’autres moyens de trouver des nutriments. Plus de 25 % d’entre elles peuvent fixer le carbone atmosphérique grâce au cycle de Calvin, une méthode de fixation du carbone en l’absence de lumière. Ce processus aiderait ces bactéries à survivre même en cas de faible ensoleillement. En fait, seuls quelques organismes possédaient les mécanismes permettant d’utiliser la lumière du soleil pour se nourrir. En outre, certaines bactéries du sol antarctique peuvent également oxyder des traces d’ammonium, de soufre et de fer dans le sol. Étonnamment, le sol abrite également diverses bactéries qui sont soit des prédateurs, soit des parasites, soit des symbiotes obligatoires.
Les diverses méthodes adoptées par les bactéries pour survivre dans l’environnement hostile de l’Antarctique sont fascinantes. De telles études ne sont pas seulement impressionnantes, elles aident aussi l’humanité à progresser. Tout d’abord, compte tenu des effets du changement climatique sur le paysage antarctique, ces études nous aident à prendre des décisions qui sauveraient l’avenir environnemental du continent. Deuxièmement, les scientifiques peuvent en savoir plus sur l’évolution de la vie en Antarctique. Ces connaissances sont cruciales car elles nous aident à comprendre comment la vie pourrait se développer et se maintenir sur d’autres planètes froides et sèches, comme Mars !
Le ‘brain freeze’ n’est pas si grave après tout !
Featured image: https://earthobservatory.nasa.gov/images/36839/antarctica
Traduit par Lucie Malard