Potentiel thérapeutique des probiotiques

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Potentiel thérapeutique des probiotiques

L’intestin humain regorge de microbes qui remplissent des fonctions cruciales pour la santé humaine, comme le renforcement de la structure et de la fonction de l’intestin, la digestion, l’immunité et la protection contre les agents pathogènes envahissants. La dysbiose, ou un déséquilibre de la communauté normale du microbiote intestinal, est associée à de nombreuses maladies courantes comme l’obésité, le syndrome du côlon irritable et la colite ulcérative. Une conséquence plus grave de la dysbiose est une infection causée par la bactérie Clostridium difficile. Des recherches passionnantes ont permis d’identifier une nouvelle stratégie potentielle pour traiter l’infection à C. difficile : une simple pilule qui contient des microbes vivants !

Actuellement, une antibiothérapie est nécessaire pour traiter le C. difficile. Cependant, le traitement antibiotique peut s’avérer inefficace pour prévenir les infections récurrentes [1]. Si le médicament peut cibler le C. difficile, il endommage aussi gravement les microbes intestinaux commensaux, ce qui entraîne une dysbiose [1]. Ainsi, la fonction immunitaire affaiblie de l’intestin est incapable de prévenir les infections futures, et les patients se retrouvent souvent dans un cercle vicieux d’antibiotiques et d’infections.

Étant donné qu’un intestin fort et sain est la clé de la guérison du C. difficile, les scientifiques explorent de nouveaux traitements permettant de restaurer un microbiote sain. La méthode de transplantation microbienne fécale a gagné en popularité et s’est avérée très efficace. Dans ce cas, les selles d’un donneur sain sont recueillies et transférées directement dans l’intestin d’un patient souffrant d’une infection à C. difficile [2]. L’un des principaux inconvénients de ce traitement réside toutefois dans l’obtention d’échantillons de selles saines.

Les produits biothérapeutiques vivants (LBP) constituent une alternative émergente à la transplantation microbienne fécale. Dans un comprimé, on trouve un ensemble défini d’espèces microbiennes conçues pour rétablir la densité et la diversité du microbiome. Les LBP sont comme les probiotiques, mais leur spécificité leur permet de cibler et de traiter une condition spécifique. Dans une étude récente, des chercheurs ont testé l’efficacité d’un LBP, appelé VE303, pour traiter les infections récurrentes à C. difficile (rCDI).

Étant donné que les LBP constituent une nouvelle classe de médicaments et qu’ils présentent des propriétés pharmacologiques uniques, des recherches importantes sont nécessaires pour déterminer l’approche optimale pour administrer les LBP et maximiser leur efficacité. Les facteurs déterminants pour le succès d’un LBP sont l’innocuité, la capacité des souches microbiennes à coloniser rapidement l’intestin et, dans ce cas, la résistance à C. difficile.

Pour commencer, les chercheurs ont testé une série de candidats LBP chez la souris. Les divers candidats LBP étaient composés soit de divers groupes de microbes conçus pour imiter la complexité des microbes d’un intestin humain sain, soit de mélanges d’ensembles simples de microbes ayant déjà démontré leur efficacité contre le C. difficile. Le candidat le plus prometteur était VE303, qui contenait seulement 8 souches microbiennes différentes. L’administration de VE303 à des souris infectées par C. difficile a été aussi efficace que la transplantation microbienne fécale pour augmenter la survie des souris.  La co-culture des souches VE303 avec C. difficile en laboratoire a inhibé la croissance de C. difficile, ce qui suggère que les souches VE303 peuvent réprimer directement cet agent pathogène.

Pour faire progresser le développement clinique de VE303, l’étape suivante a consisté à tester le médicament dans une étude clinique de phase I chez des volontaires sains (ce qui signifie qu’aucun volontaire ne souffrait d’une infection à C. difficile). Les chercheurs ont d’abord déterminé que le VE303 était sûr à différentes doses et selon différents schémas posologiques. Ensuite, ils ont testé la capacité des microbes du VE303 à coloniser l’intestin des volontaires. Cela signifie que les souches VE303 seront détectées dans les échantillons de selles des volontaires après la prise de la pilule. Pour détecter les souches VE303, les chercheurs ont utilisé le séquençage de l’ADN et un algorithme de suivi microbien sensible pour distinguer les membres de VE303 des microbes très similaires déjà présents dans l’intestin des volontaires.

Ils ont découvert que le VE303 pouvait coloniser l’intestin en un ou deux jours. Pour que la colonisation des souches soit rapide et réussie, les volontaires ont reçu de la vancomycine avant le traitement par VE303. La vancomycine est un antibiotique qui est le plus souvent utilisé comme première ligne de défense contre les infections à C. difficile. Ce résultat suggère que, pour que le VE303 soit efficace, le microbiome du patient doit d’abord être appauvri. Les chercheurs ont donc suivi le processus de récupération des communautés du microbiote intestinal. Comme prévu, la vancomycine a considérablement perturbé la densité et la diversité microbiennes naturelles mesurées chez les volontaires sains au début de l’essai. Il est important de noter que ceux qui ont pris VE303 après le traitement à la vancomycine ont connu un retour rapide aux niveaux d’avant la vancomycine en une semaine. En comparaison, les volontaires traités uniquement à la vancomycine ont mis 4 à 24 semaines pour que leurs communautés microbiologiques se rétablissent. Certains volontaires n’ont jamais retrouvé leurs niveaux d’avant la vancomycine, même après un an !

Enfin, les chercheurs ont découvert que les microbes VE303 collaborent avec le microbiote intestinal pour produire des molécules aux propriétés anti-inflammatoires et antimicrobiennes. En d’autres termes, ces molécules pourraient aider à prévenir la colonisation par le C. difficile et renforcer la capacité du patient à combattre une infection.

Résumé de l’essai clinique. Le traitement avec VE303, après une antibiothérapie, a permis une colonisation réussie de la souche VE303 et une plus grande récupération de la communauté bactérienne bénéfique (en bas) par rapport aux volontaires qui n’ont pas pris VE303 (en haut). Source : Colonisation du produit biothérapeutique vivant VE303 et modulation du microbiote et des métabolites chez des volontaires sains : Cell Host & Microbe

Étant donné que l’antibiothérapie est nécessaire dans le traitement du C. difficile et qu’un microbiome perturbé est inévitable, le VE303 pourrait servir de stratégie viable pour accélérer le rétablissement d’un microbiote intact et prévenir les infections récurrentes. En effet, les résultats de cette étude préliminaire indiquent que les souches VE303 peuvent être protectrices contre l’IDRc grâce à au moins trois mécanismes : 1) l’inhibition directe de la croissance de C. difficile, 2) l’accélération du rétablissement de la densité et de la diversité du microbiote intestinal, et 3) la restauration du fonctionnement normal de l’intestin par la production de métabolites anti-inflammatoires et antimicrobiens.

Le LBP VE303 est une nouvelle option thérapeutique intéressante pour C. difficile par rapport à la transplantation microbienne fécale, étant donné que les LBP sont beaucoup moins invasifs et plus faciles à administrer. A l’avenir, d’autres études cliniques seront nécessaires pour déterminer si le VE303 est aussi efficace que la transplantation microbienne fécale chez les patients atteints de C. difficile.

Au-delà du traitement des infections, les LBP sont explorés comme options de traitement alternatives pour une variété de conditions liées à la dysbiose. Contrairement aux médicaments à petites molécules ou aux anticorps, l’un des principaux avantages des LBP est qu’ils sont auto-renouvelables. Ainsi, les LBP pourraient permettre une persistance à long terme de la guérison sans que les patients aient à prendre continuellement des médicaments.


Article original: Colonization of the live biotherapeutic product VE303 and modulation of the microbiota and metabolites in healthy volunteers: Cell Host & Microbe

Autres sources:

  1. Lamendella R., Wright J.R., Hackman J., McLimans C., et al. Antibiotic treatments for Clostridium difficile infection are associated with distinct bacterial and fungal community structures. mSphere. 2018. 3 (1): e00572-17. Antibiotic Treatments for Clostridium difficile Infection Are Associated with Distinct Bacterial and Fungal Community Structures |mSphere (asm.org)
  2. Bakken J.S., Borody T., Brandt L.J., Brill J.V., et al. Treating Clostridium difficile infection with fecal microbiota transplantation. Clin. Gastroenterol. 2011. 9 (12): 1044-1049. Treating Clostridium difficile Infection With Fecal Microbiota Transplantation – ScienceDirect

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Traduit par Anaïs Biclot