
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Les virus ont-ils créé des roches vivantes?
Qu’est ce que la vie? D’où vient-elle? Pourquoi existe-t-elle? Ces questions sont avec nous, depuis très longtemps. La réponse à bon nombre de ces questions et à d’autres peut se trouver dans le monde microbien.
Les microbes (virus, bactéries, champignons, protistes) ont parcouru cette terre bien avant nous et ont noué des relations intimes les uns avec les autres, façonnant leur monde jusqu’à ce qu’ils deviennent notre monde. Beaucoup de ces anciennes structures que les microbes ont façonnées existent encore aujourd’hui et détiennent les clés de l’histoire de la terre et de l’histoire de la vie.
L’une de ces structures dont vous avez peut-être entendu parler, s’appelle un stromatolithe. Les stromatolithes ressemblent à des roches, mais en réalité, ils représentent les écosystèmes les plus anciens et les plus complexes jamais connus. Pour cette raison, ils sont parfois appelés «roches vivantes». Un stromatolithe est un biofilm sédimentaire lithifié (transformé en roche). On pense qu’ils sont l’une des premières formes de vie visibles à l’œil nu, bien qu’il y a 3,5 milliards d’années, lorsque le stromatolithe dominait la terre, il n’y avait pas d’yeux pour les regarder.
Un biofilm est une structure bactérienne collante et parfois visqueuse que les microbes créent pour se protéger, comme la plaque sur vos dents. Il est composé de nombreux microbes et de leurs produits, y compris des substances polymères extracellulaires que l’on trouve à l’extérieur de leurs cellules. Lorsque ces cafétérias microbiennes multicouches sont construites sur des surfaces solides, nous les appelons biofilm, mais lorsqu’elles se trouvent sur des sédiments, nous les appelons tapis microbiens.
Ces anciens tapis microbiens peuvent être trouvés à travers l’histoire. Au fil du temps, ils peuvent être convertis en structure solide semblable à la roche des stromatolithes. Les tapis microbiens peuvent contenir presque tous les types de micro-organismes, y compris les protistes, les archées et les virus. Cependant, tous les tapis microbiens qui existent ne persistent pas forcément. La composition chimique et biologique de la communauté microbienne joue un rôle dans leur subsistance. Ainsi, à l’intersection de la biologie, de la physique, de la chimie, de la géologie et de la microbiologie se trouvent ces «roches vivantes». Elles peuvent simplement détenir les secrets de l’origine de la vie, ou tout du moins détenir des secrets sur l’évolution.
Dans un article récent de Trends In Microbiology, les auteurs ont réfléchi à savoir comment un tapis microbien mou peut se transformer en une structure semblable à une roche dure. Ils émettent l’hypothèse que cette transition est probablement due à un groupe microbien qui reçoit généralement peu d’attention en dehors de la santé humaine, les virus!
On estime qu’il existe 15 millions d’espèces différentes sur notre planète, dont nous ne connaissons que 2 millions environ. On estime également qu’un seul gramme de sol peut contenir jusqu’à 50 000 espèces différentes, mais la plupart ne sont pas encore identifiées. Ces chiffres sont stupéfiants mais ne sont rien comparés à l’abondance virale mondiale estimée à 10^31. C’est 10 fois plus que les étoiles dans le ciel! Qu’il s’agisse de vous ou d’un microbe, les virus ne peuvent pas survivre sans un hôte et, à ce titre, ils modifient constamment l’hôte et son environnement. Dans les océans seulement, on estime que les virus provoquent un renouvellement de 20 à 50% de la biomasse microbienne.
Le mode de vie viral est assez unique, ils ont besoin d’un hôte pour survivre mais leur propre survie conduit souvent à la mort de l’hôte, les forçant à trouver un nouvel hôte dans un laps de temps relativement court. Pour lutter contre ce défi, les virus ont développé différentes façons de survivre.
- Au niveau très basique, un virus infectera une cellule, s’appropriera le système cellulaire pour répliquer son propre génome viral, puis ouvrira la cellule, éjectant de nombreuses autres copies du virus pour infecter de nouvelles cellules. Ces virus sont des virus lytiques. Il s’agit évidemment d’un processus très destructeur, détruisant complètement la cellule hôte.
- Une autre méthode de survie virale consiste à ne pas lyser la cellule mais simplement à bourgeonner hors de la membrane cellulaire laissant la cellule hôte indemne.
- Ensuite, certain virus sont lysogènes au lieu de lytiques. Ces particules virales inséreront seulement leur matériel génétique dans le génome de l’hôte.
Dans tous les cas, l’intrus viral changera le comportement de l’hôte. Semblable à l’hôte qui voit un invité indésirable à sa fête, il peut devenir hostile, il peut changer ses habitudes alimentaires ou son comportement général.

Mais qu’est-ce que toute cette biologie virale a à voir avec l’origine de la vie et des stromatolithes? White, Visscher et Burns émettent l’hypothèse que les virus peuvent avoir manipulé d’autres comportements microbiens menant à la transformation de tapis microbiens en stromatolithes. Ces comportements peuvent être sous des formes directes telles que la modification du métabolisme de l’hôte ou sous des formes plus indirectes telles que la résistance aux virus ou à la lyse de la cellule.
Parlons d’abord des mécanismes indirects, de la lyse et de la résistance aux virus. Dans la lyse, les cellules sont ouvertes, déversant leurs tripes génétiques dans l’environnement. Ces éléments peuvent servir de nutriments à d’autres microbes dans le tapis microbien, augmentant le métabolisme comme la photosynthèse ou renforçant la structure globale du biofilm. Comme nous pouvons acquérir une résistance contre certaines bactéries, les bactéries peuvent acquérir une résistance contre certains virus. Cette résistance peut changer la composition globale du tapis microbien et changer les substances polymères extracellulaires, ce qui changent l’architecture globale du biofilm qui peut conduire à la lithification (transformation en roche).
La façon directe dont le virus peut impacter la structure du stromatolithe peut provenir de plusieurs voies différentes. Les virus ont la capacité d’insérer leurs gènes dans l’hôte et par la suite peuvent acquérir des gènes de l’hôte. Par exemple, les vAMG sont des gènes que le virus capte de l’hôte qui améliorent le métabolisme bactérien et modifient les cycles biogéochimiques bactériens globaux. Cela peut à son tour modifier la structure du biofilm. De plus, les virus peuvent insérer ou supprimer d’autres gènes qui pourraient augmenter les aptitudes du virus et de l’hôte, ce qui peut modifier à son tour le biofilm.

Jusqu’à présent, tout cela a été très théorique. Existe-t-il des preuves scientifiques de cette théorie sur les tapis microbiens impactés par les virus pour se transformer en stromatolithes? Et bien, il y a un rapport récent, par Zhongwu Lan et ses collègues, qui montrerait que des virus étaient présents dans les stromatolithes néoprotérozoïques de la plate-forme de la Chine du Nord.
Nous n’en sommes qu’aux premiers stades de la compréhension de nos interactions avec les microbes de nos intestins et nous sommes encore loin de comprendre comment les virus impactent les micro-organismes. Cependant, la vie microbienne peut être dynamique, remplie d ’une « énergie sombre » qui nous fascine depuis des siècles, nous amenant peut-être à conclure à des « faits » erronés sur notre monde. Au fur et à mesure que les technologies continuent de s’améliorer, les chercheurs feront un pas de plus vers la compréhension de ces minuscules interactions qui peuvent détenir les secrets de notre univers.
Image: Wikicommons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Stromatolites_in_Sharkbay.jpg
Traduit par Anaïs Biclot