Ils affament des bactéries pendant des années.

Certaines expériences prennent des jours, d’autres des semaines ou des mois et quelques-unes des années. Plusieurs vies pour des bactéries. 

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Des scientifiques fous ont affamé des bactéries pendant des années.

Les cultures pendant de longues périodes nous permettent de comprendre comment les bactéries évoluent au cours du temps ou permettent aux bactéries à croissance lente d’être en assez grand nombre pour les étudier.

Une étude récente par Ratib et ses collaborateurs a mis en culture E. coli pendant 1200 jours pour étudier leur adaptation au stress. Pendant ces 1200 jours, les bactéries n’étaient pas nourries, seulement prélevées à différentes intervalles pour compter les cellules puis pour le séquençage de leur génome afin d’en apprendre plus sur les différents clones. 

Les bactéries se reproduisent par fission binaire, chaque cellule fille est donc un clone de la cellule mère. Mais les bactéries peuvent avoir des erreurs dans leur génome ce qui crée des mutations qui peuvent ou non être gardées dans les générations suivantes. 

Les bactéries en culture passent par plusieurs phases:

  1. phase de latence, ou elles s’adaptent à leur nouvel environnement
  2. phase exponentielle, ou elle croissent exponentiellement 
  3. phase stationnaire, ou les nutriments viennent à manquer 
  4. Après la phase stationnaire les cellules commencent à mourir 
  5. Mais certaines survivent et persistent pour entrer en phase stationnaire longue, en attendant des jours meilleurs.

Dans leur étude, Ratib et ses collaborateurs n’ont pas ajouté de substrat dans le milieu bactérien pour les ‘’affamer’’. Ce qui a eu pour conséquence un recyclage des nutriments disponibles. Ces cellules, pour survivre, ont dû trouver des nutriments dans leur environnement: des cellules mortes. Ce métabolisme passant du glucose à principalement des acides aminés (base des protéines) et acides nucléiques (base de l’ADN) provenant des cellules mortes a obligé les bactéries à s’adapter en utilisant ces ressources pour en faire de l’énergie. 

En séquençant le génome en entier (en regardant les séquences d’ADN de la bactérie), les auteurs ont pu voir les mutations et les séparations de la lignée. Ils ont trouvé deux sous-populations qui coexistaient et s’adaptaient sur toute la durée de l’expérience. Les mutations ont été trouvées principalement dans les gènes essentiels à la survie et dans les gènes nécessaires à l’utilisation de nouvelles sources d’énergie.

Comprendre comment les bactéries peuvent s’adapter dans un environnement stressant tel qu’un manque de nutriments permet aux scientifiques de mieux comprendre comment elles survivent dans le monde réel souvent sujet  à ce genre de situation. 

Cependant, cette étude n’était pas la plus longue expérience. Cette place est attribuée à l’expérience  de l’évolution sur le long terme de E. coli (LTEE) qui a commencé en 1988. Oui, 73000 générations en date de 2020 mais tout a dû être arrêté à cause de la crise sanitaire du covid-19. Mais cette interruption n’était pas la première et les bactéries peuvent être congelées et décongelées. L’étude a pu reprendre en septembre 2020 et a été financée pour 5 années supplémentaires. Longue vie à E.coli!


Article: Nicole R. Ratib, Fabian Seidl, Ian M. Ehrenreich, Steven E. Finkel. Evolution in Long-Term Stationary-Phase Batch Culture: Emergence of Divergent Escherichia coli Lineages over 1,200 Days mBio Jan 2021

DOI: 10.1128/mBio.03337-20


Traduit par Yohann Geraldes