
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Microbes, vers et plastique
Vous êtes-vous rendu à l’épicerie aujourd’hui ? Si l’on considère que vous avez également payé pour l’emballage, quelle quantité de plastique avez-vous acheté ?
Avez-vous récemment acheté un produit dont vous n’aviez pas besoin mais que vous vouliez absolument posséder ? Quelle quantité de plastique contenait le matériau à partir duquel ce produit a été fabriqué ?
Saviez-vous que les plastiques sont des polymères organiques, mais qu’ils ne se dégradent pas facilement en raison de leur durabilité accrue ?
Enfin, savez-vous ce qu’est le polystyrène ? Souvenez-vous de ces boîtes à repas à emporter et de ces blocs blancs ultralégers qui accompagnent l’emballage des appareils électroniques. Le styromousse est composé de polystyrène, un plastique extrêmement durable.
La pollution plastique est un sujet de discussion sensible pour le public, les spécialistes de l’environnement, les médias et les entreprises de biens de consommation. Entre-temps, des scientifiques ont découvert que le plastique pouvait être dégradé par des microbes résidant dans l’intestin des vers.
Pourquoi les insectes ?
Les insectes peuvent manger du plastique. Ils ont la capacité de briser le plastique en petits morceaux à l’aide de leurs pattes. Lorsque ces morceaux atteignent l’intestin de l’insecte, ils sont dégradés par les microbes qui s’y trouvent. Plusieurs études montrent que les bactéries intestinales des vers peuvent manger du polyéthylène et du polystyrène et y survivre. Le problème majeur de ces études est que les chercheurs se sont concentrés sur les bactéries qui peuvent être isolées de l’intestin du ver et cultivées dans des conditions de laboratoire. Une étude récente fait la lumière sur les bactéries considérées comme difficiles à cultiver en laboratoire. Cette étude s’est concentrée sur les super vers: les larves de coléoptères.
Les scientifiques ont constitué trois groupes de super vers : le premier a été nourri au polystyrène, le deuxième au son de blé, qui est la nourriture habituelle des super vers, et le troisième n’a pas été nourri du tout. On peut se demander quel est l’intérêt d’avoir un groupe qui n’a pas été nourri du tout. Ce groupe a été utilisé pour déterminer si les vers tiraient suffisamment d’énergie du polystyrène pour survivre. Qu’ont-ils constaté ? Le groupe “son de blé” a pris plus de poids que les deux autres groupes au cours des 30 jours. Le groupe polystyrène a pris un peu de poids par rapport au groupe affamé. Cela signifie que le polystyrène n’est peut-être pas la meilleure source de nourriture pour les vers, même si les scientifiques ont observé que les vers se frayent un chemin en faisant des trous étroits à travers les blocs de polystyrène (voir la figure ci-dessous).

Comment les microbes dégradent-ils le polystyrène ?
Le terme “polystyrène” désigne un polymère de styrène (une grosse molécule composée de plusieurs molécules de styrène). Le polystyrène peut être dégradé en petites molécules de styrène. Fait amusant, le styrène est un composé organique que l’on trouve dans les plantes et les champignons. Avertissement – Ce n’est pas parce que le styrène se trouve naturellement dans les plantes et les champignons qu’il peut être consommé sans danger (tout ce qui est étiqueté “organique” n’est pas forcément inoffensif !)
Les plantes et les bactéries entretiennent une relation complexe, les microbes utilisant de nombreux métabolites fournis par les plantes, dont le styrène. Il en va de même pour les champignons et les bactéries. Cela signifie que ces petites molécules naturelles de styrène peuvent être utilisées comme source de nourriture par les bactéries. Mais il y a un hic ! Si l’on sait que le polystyrène peut être décomposé en styrène par de nombreuses enzymes produites par les microbes, on sait très peu de choses sur la manière dont ces enzymes facilitent ce processus. Le styrène peut être décomposé en molécules encore plus petites par plusieurs voies, l’une d’entre elles étant l’oxygénation de la chaîne latérale du vinyle. La styrène monooxydase est une enzyme cruciale dans cette voie et cette enzyme peut être produite par de nombreuses bactéries. Mais quelles sont ces bactéries ?
Les scientifiques ont découvert que le microbiote intestinal des vers nourris au polystyrène abritait des bactéries spécialisées dans la dégradation du polystyrène, telles que Brevundimonas, Microbacterium, Pseudomonas, Sphingobacterium et Streptococcus spp. Ces bactéries étaient présentes en plus grande quantité dans l’intestin des vers nourris au polystyrène que dans celui des vers nourris au son de blé et des vers affamés. Les Pseudomonas sont des bactéries particulièrement intéressantes car on sait qu’elles tirent de l’énergie en se nourrissant de polystyrène.
Rappelons que la dégradation du polystyrène est un processus complexe et que tous les gènes impliqués dans ce processus ne sont pas connus. Mais dans cette étude, les scientifiques ont trouvé des gènes codant pour la styrène monooxydase dans les séquences du métagénome du groupe de vers nourris au polystyrène. Un examen plus approfondi a montré que ces gènes ont des séquences similaires à celles trouvées dans les voies de transport du styrène chez Pseudomonas putida.
Quel est l’effet du polystyrène sur la santé de ces vers ?
La dégradation efficace du polystyrène par les efforts collectifs des vers et des bactéries est une étape prometteuse dans le traitement des déchets plastiques. Cependant, se nourrir de polystyrène n’est certainement pas bon pour les vers. Après avoir mangé du polystyrène, les vers ont pris un poids marginal par rapport aux vers affamés. Cependant, la prise ou la perte de poids n’est pas nécessairement synonyme d’un mauvais état de santé. Il existe d’autres moyens de mesurer qualitativement l’état de santé des vers après leur exposition au plastique. Les scientifiques ont observé le cycle de reproduction de ces vers après qu’ils aient été nourris au polystyrène. Les vers se transforment en pupes et les pupes deviennent des insectes adultes. Ils ont constaté que le temps nécessaire aux pupes pour atteindre la maturité augmentait considérablement par rapport aux vers nourris au son de blé.
Quelles sont les implications de cette expérience pour la réduction de la pollution plastique ?
Pour réduire les déchets plastiques à court terme, l’utilisation de vers et de leurs bactéries intestinales pour la dégradation des déchets plastiques peut être un processus efficace. Toutefois, à long terme, cette idée peut être viable ou non, en fonction de l’effet de l’exposition au plastique sur la progéniture des vers. Par conséquent, pour le moment, cette idée est utile pour traiter les déchets plastiques existants, mais la réduction de l’utilisation du plastique reste la meilleure solution pour améliorer l’impact de la pollution plastique dans un avenir proche.
Lien article original: Sun, J., Prabhu, A., Aroney, S. T. N., Rinke, C. Insights into plastic biodegradation: community composition and functional capabilities of the superworm (Zophobas morio) microbiome in styrofoam feeding trials. Microbial Genomics. 8 (6).
Image: cree par l’auteur
Traduit par Lucie Malard