Ami – ennemi un simple changement.

                                

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Ami – ennemi un simple changement.

Le monde qui nous entoure regorge de micro-organismes, et ce depuis les profondeurs de l’océan à nos intestins. Les microbes sont généralement étiquetés comme infectieux alors qu’en réalité, seule une petite partie est classée comme agents pathogènes. De nombreux microbes vivent heureux sans nous nuire, ni nuire à d’autres formes de vie ; ils peuvent même profiter à leur hôte en leur fournissant une protection ou des nutriments essentiels.

Alors qu’est-ce qui fait qu’un microbe soit un agent pathogène ?

La clé de la capacité d’un microbe à infecter un hôte donné réside dans son génome. Les agents pathogènes abritent une collection d’outils codés par ses gènes pour attaquer un hôte. Les microbes commensaux ne possèdent généralement pas ces gènes, ou s’ils en ont, ils ne les expriment pas. D’autres bactéries, connues sous le nom d’agent pathogène opportuniste, peuvent facilement passer du statut d’amies inoffensives à des ennemies infectieuses.

De nombreux scientifiques explorent ce changement opportunistique chez une bactérie appelée Staphylococcus epidermidis. S. epidermidis est l’un des nombreux microbes normalement présents sur notre peau. Bien que généralement bénigne, cette bactérie peut être un agent pathogène problématique dans les hôpitaux et les cliniques. S. epidermidis se développe souvent sur des dispositifs médicaux implantés et infecte parfois même le sang, entraînant des maladies mortelles comme la septicémie. Elle a également acquis une résistance à un certain nombre d’antibiotiques, ce qui fait du traitement un défi permanent. Fait intéressant, S. epidermidis n’a pas beaucoup de gènes qui aident à attaquer directement son hôte. Elle s’appuie plutôt sur des outils génétiques pour se faufiler au-delà de la réponse immunitaire de l’hôte, envahir et établir sa résidence dans l’hôte.

Comment ce microbe passe-t-il d’un état inoffensif sur notre peau à celui de provoquer des infections potentiellement mortelles ?

Des recherches antérieures menées par le Dr Laura Cau et d’autres ont révélé que certaines souches de S. epidermidis produisent naturellement plus de protéases, appelées EcpA, que d’autres ce qui entraînent des lésions et une inflammation de la peau. Pour en savoir plus sur l’EcpA chez S. epidermidis, consultez « opportuniste » de la peau. Dans une étude récente, un groupe de chercheurs allemands, danois et chinois a découvert que des souches de S. epidermidis sont passées d’un mode de vie commensal à pathogène à l’aide d’une molécule de sucre complexe connue sous le nom de RboP paroi a acide téichoïque, ou WTA pour wall teichoic acid  en anglais. Le WTA est assez courant chez les bactéries et s’insère entre le peptidoglycane sur la paroi cellulaire bactérienne (Figure 1).

Figure 1. Paroi acide téichoïque dans la paroi cellulaire bactérienne. Créé avec Biorender.

Il joue probablement un rôle essentiel dans la façon dont les bactéries conservent leur forme, contrôlent les processus cellulaires et interagissent avec leurs hôtes [2]. Toutes les souches de S. epidermidis possèdent du WTA, mais seules les souches pathogènes ont du RboP-WTA. Les chercheurs démontrent que RboP-WTA modifie la façon dont S. epidermidis infectieux colonise son hôte et lui permet de partager certains de ses outils génétiques avec Staphylococcus aureus, un pathogène apparenté à S. epidermidis, pour améliorer son nouveau mode de vie virulent.

L’équipe de chercheurs a utilisé des échantillons cliniques de patients infectés par S. epidermidis pour comprendre les principales différences entre les souches inoffensives et infectieuses. Ils ont découvert que les souches pathogènes de S. epidermidis possèdent deux types de WTA : GroP-WTA et RboP-WTA. En revanche, les souches non pathogènes de S. epidermidis n’ont que GroP-WTA (Figure 2).

Figure 2. Types d’acide téichoïque de la paroi dans S. epidermidis commensal (gauche) versus pathogène (droite). Créé avec Biorender.

S. aureus exprime également RboP-WTA, ce qui suggère que RboP-WTA permet un mode de vie pathogène pour S. epidermidis. D’autres recherches ont révélé que le RboP-WTA modifie la façon dont la bactérie interagit  et colonise son hôte. Selon l’étude, S. epidermidis exprime RboP-WTA qui infecte facilement la circulation sanguine de l’hôte et perd sa capacité à coloniser l’épithélium de l’hôte comme les souches commensales.

Les bactéries font souvent équipe pour survivre et évoluer en échangeant des gènes importants. Étant donné que les souches de S. aureus et S. epidermidis pathogènes expriment toutes deux RboP-WTA, les auteurs ont voulu voir si les deux espèces sont capables d’échanger de l’ADN. Ils ont découvert que seules les souches de S. epidermidis avec RboP-WTA ont un groupe de gènes liés à WTA qui permettent aux bactéries d’échanger de l’ADN avec S. aureus. Les souches S. epidermidis commensales n’ont pas le groupe de gènes ni la capacité d’échanger des informations génétiques avec S. aureus. Les auteurs émettent l’hypothèse que la capacité de l’agent pathogène à échanger de l’ADN avec S. aureus fournit à S. epidermidis l’occasion idéale d’apprendre à mieux attaquer son hôte et à résister aux antibiotiques courants.

Ces découvertes pourraient ouvrir la porte à la production de vaccins staphylococciques qui ciblent le RboP-WTA sans perturber notre microflore normale, ce qui constitue un énorme pas en avant dans la lutte contre les agents pathogènes bactériens résistants aux antibiotiques.


Article: Du, X., Larsen, J., Li, M. et al. Staphylococcus epidermidis clones express Staphylococcus aureus-type wall teichoic acid to shift from a commensal to pathogen lifestyle. Nat Microbiol 6, 757–768 (2021).

  1. Cau, Laura et al. “Staphylococcus epidermidis protease EcpA can be a deleterious component of the skin microbiome in atopic dermatitis.” The Journal of Allergy and Clinical Immunology vol. 147 (2021): P955-966. doi:10.1016/j.jaci.2020.06.024
  2. Brown, Stephanie et al. “Wall teichoic acids of gram-positive bacteria.” Annual review of microbiology vol. 67 (2013): 313-36. doi:10.1146/annurev-micro-092412-155620

Image: Created with BioRender.


 Traduit par: Yohann Geraldes