Bactériophages, dites au revoir aux antibiotiques?





De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Bactériophages, dites au revoir aux antibiotiques?

Structure d’un bactériophage.
Image créée par Adenosine (original); en:User:Pbroks13 (redraw), CC BY-SA 2.5 , via Wikimedia Commons

Ces micro-organismes, ressemblant à des nanorobots, sont en fait des virus. Par ce qu’ils infectent et lysent uniquement les bactéries, ils sont appelés bactériophages. Les bactériophages ont été simultanément découverts par Frederick Twork en Angleterre en 1915 et par Félix d’Hérelle en France en 1917, qui a été le premier à appliquer cette découverte à la santé humaine pour traiter les infections. 

Félix d’Hérelle travaillait à l’institut Pasteur lorsqu’il commença à étudier les effets de la dysenterie sur les enfants. La dysenterie est une maladie infectieuse causée par la bactérie Shigella provoquant des diarrhées qui à cette époque, étaient souvent mortelles. Il identifia dans les fèces des enfants malades la présence de micro-organismes capables de tuer la bactérie responsable de l’infection. Il nota également que ces micro-organismes étaient toujours présents dans les fèces des patients en rémission. Après les avoirs isolés, il les nomma bactériophages et les utilisa en culture, pour traiter et guérir plusieurs enfants atteint de dysenterie à un stade critique. 

Cercle sans bactéries montrant la présence de bactériophages.
Photo par Megan Mathias et J. Todd Parker, USCDCP sur Pixnio

Dès lors, la phagothérapie (traitement par bactériophages) a été appliquée avant la découverte des antibiotiques, pour traiter les infections. Or les antibiotiques sont des composés chimiques qui peuvent être étudiés facilement, contrairement aux bactériophages, qui sont biologiques et présentent une alternative plus risquée. Les bactériophages peuvent en effet interagir avec les membranes humaines, atteindre les vaisseaux sanguins et interagir avec les tissus non ciblés. Mais jusqu’à présent, aucun résultat ne permet d’associer des effets secondaires à la présence de bactériophage dans le corps humain. De plus, un phage infecte une espèce bactérienne spécifique. Les bactériophages doivent donc être sélectionnés en fonction de leur bactérie cible  et combinés en un cocktail pour avoir un effet maximal. Malheureusement ces cocktails sont souvent instables et par conséquent, les bactériophages ne sont pas toujours maintenus actifs. Dans ces cas-ci, l’effet de la phagothérapie est réduit.

En raison de ces différences entre la phagothérapie et les antibiotiques, les antibiotiques sont devenus la méthode la plus répandue pour traiter les infections. Cependant, ces dernières années, la résistance des bactéries aux antibiotiques est devenue un réel problème dans la lutte contre les infections. La recherche d’une alternative nous ramène petit à petit vers les bactériophages. D’autant plus que si les bactéries sont capables d’évoluer et d’acquérir une résistance aux antibiotiques et au bactériophages; les bactériophages peuvent également évoluer et infecter des bactéries ayant muté.

Bactériophages infectant une bactérie. 
Image par Dr Graham Beards, CC BY-SA 3.0, sur Wikimedia Commons

Depuis sa découverte, la phagothérapie a été principalement utilisée en France et dans l’ Union soviétique. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que la France misait sur les antibiotiques comme traitement, ne conservant les bactériophages que pour des traitements expérimentaux ou à des fins de recherche, l’Union soviétique (maintenant la Russie, la Géorgie et la Pologne), se concentra sur les bactériophages pour traiter les infections et commença la commercialisation de traitements phagiques. Jusqu’à présent, les bactériophages ont été utilisés pour traiter toutes sortes d’infections telles que le choléra, les abcès, les infections post-opératoires, les infections cutanées, la péritonite, les plaies purulentes, la vaginite, la mastoïdite, les infections respiratoires et bien plus encore. Plus récemment, les États-Unis et la Belgique ont autorisé l’utilisation de la phagothérapie en vertu de certaines législations. Les différents traitements peuvent être pris par voie orale, par application cutanée, par injection locale ou sanguine, ou même inhalés.

Préparation bactériophagique russe
Oasisllc, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Un projet récent appelé RAPID Pneumophage, mené par la société française Pherecydes pharma qui développe des cocktails de bactériophages, a montré l’efficacité de la phagothérapie par inhalations contre la pneumonie associée à la ventilation. Cette infection bactérienne à un taux de mortalité allant de 20% à 30%, et peut être causée par l’intubation et la ventilation artificielle de patients. Les résultats obtenus dans cette étude sur des porcs ont montré une diminution bactérienne de 99%, malgré les conditions de ventilation extrêmes (flux à grande vitesse et forte pression). Ces résultats sont encourageants, l’effet de ce traitement sera bientôt étudié sur des patients atteints de ce type de pneumonie.

La phagothérapie pourrait également être utilisée dans le cas d’une pandémie comme la pandémie de  COVID-19. En effet, 50% des décès des patients de la COVID-19 sont dus à des infections bactériennes, telles que la pneumonie associée à la ventilation. De plus, les patients atteints de la COVID-19 dans un état critique ont plus de co-infections bactériennes que les autres patients ayant la COVID-19. Des bactéries résistantes aux antibiotiques sont souvent impliquées dans ces infections, par conséquent, l’utilisation d’antibiotiques reste inefficace. Récemment, la Food and Drug Administration aux États-Unis a approuvé la phagothérapie pour les patients atteints de la COVID-19.

Les différents résultats obtenus sur les bactériophages, nous poussent à penser que ce n’est que le début de la phagothérapie et que les bactériophages pourraient bientôt faire partie de notre quotidien !

Si vous voulez savoir comment les bactériophages infectent les bactéries, vous pouvez lire cet article !

Les virus ont-ils créé des roches vivantes?

Découvrez ce documentaire ARTE sur les bactériophages :


Sources:

Stephen T Abedon, Phage treatment of human infections, 66-85, Mar-Apr 2011

Tomas Haüsler, Viruses vs. Superbugs, 2006

Résultats d’essai préclinique par Pherecydes Pharma, 2021

Ahlam Alsaadi, Learning From Mistakes: The Role of Phages in Pandemics, Frontiers in Microbiology, 17 March 2021

Image: (Image  crée par naturalismus sur flickr)


Traduit par Clémence Joseph