Des nouvelles positives sur la vie sociale des bactéries

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Des nouvelles positives sur la vie sociale des bactéries.

Les bactéries sont des organismes sociaux et interagissent avec les autres organismes de leur entourage. Elles peuvent avoir un effet positif, en produisant des composés que d’autres bactéries peuvent utiliser, ou même servir de protection contre les intrus ou un environnement difficile. Mais les bactéries peuvent aussi être en guerre les unes contre les autres, par exemple lorsqu’elles se disputent la nourriture ou lorsqu’elles produisent des composés nocifs. Dans tous les cas, le type d’interaction n’est pas déterminé par une seule partie, car les deux espèces déterminent le résultat. En d’autres termes, les deux interactions à sens unique déterminent le résultat de l’interaction bidirectionnelle.

Cela signifie qu’il existe de nombreux types d’interactions puisqu’une espèce peut soit 1) n’avoir aucun effet, 2) avoir un effet positif ou 3) avoir un effet négatif sur l’autre espèce. Un aperçu des possibilités est donné dans la figure ci-dessous.

Différents types d’interactions. Créé avec Biorender.com

Des études précédentes montrent que la coopération n’est pas très courante, comme nous l’avons déjà signalé dans cet article. Ici, les auteurs affirment que la compétition est la règle chez les microbes car ils ont trouvé des interactions positives dans moins de 10% de toutes les interactions. Mais cette étude pourrait être biaisée – ils n’ont testé qu’une seule condition environnementale. Cependant, la modélisation métabolique et les études préliminaires montrent que des interactions positives peuvent se produire en fonction des conditions environnementales (le type et la quantité de nutriments disponibles).

Mais pourquoi voulons-nous creuser si profondément dans la vie sociale des bactéries ? Et pourquoi sommes-nous spécifiquement intéressés par les interactions positives ? En rassemblant toutes ces informations, nous avons une meilleure idée des facteurs nécessaires pour modifier une communauté microbienne. À terme, nous voulons être en mesure de concevoir des communautés capables de stimuler ou de rétablir des écosystèmes déséquilibrés, ce qui contribuera à la conservation de l’environnement, à la santé des cultures et à la santé humaine.

Quelle est donc la prévalence des interactions positives, et pourquoi se produisent-elles ? Dans cet article publié dans Science Advances, Jared Kehe et ses collègues ont utilisé une plateforme de criblage à haut débit appelée kChip, et ont examiné les interactions de plus de 150 000 co-cultures bidirectionnelles. Ils ont utilisé 20 souches bactériennes différentes provenant du sol et ont testé 40 environnements différents (différentes sources de carbone à différentes concentrations). Une description plus détaillée de cette méthode est donnée dans la figure ci-dessous.

Deux souches bactériennes – dont l’une est marquée par la GFP – sont mélangées à un certain “environnement” (différentes sources de carbone). Ensuite, ces co-cultures sont cultivées dans le dispositif kChip. L’effet de la bactérie non marquée sur la bactérie marquée peut être suivi en observant l’intensité de la GFP au fil du temps. Cela montre non seulement quel type d’interaction il s’agit, mais aussi quelle est sa force lorsque le résultat est comparé à celui de chacune des bactéries cultivées seules.

Fait intéressant, les chercheurs ont constaté que des effets positifs se produisaient dans plus de 40 % des cas, le parasitisme étant l’interaction “positive” la plus souvent signalée (22 %). Comment le parasitisme peut-il être positif ? Positif signifie ici qu’une bactérie a un taux de croissance accru lorsqu’elle se développe avec une autre bactérie. Seulement 5 % des interactions étaient mutualistes, les deux souches semblant bénéficier de la présence de l’autre. Une grande partie des interactions n’ont pas eu d’effet positif ou neutre (53 %). Voir la figure ci-dessous pour un aperçu détaillé.

Types d’interactions mesurées dans >150.000 cocultures

Les chercheurs ont remarqué que les deux mêmes espèces se comportaient différemment dans des environnements différents. Ainsi, dans un environnement, elles peuvent avoir une relation mutualiste, alors que dans un autre, on peut trouver du parasitisme. Il est donc assez difficile de prédire quel type d’interaction deux bactéries peuvent avoir dans un environnement donné.

Ont-ils donc pu trouver un élément prédictif qui aiderait à prévoir le type d’interaction qui pourrait avoir lieu ? Oui ! Apparemment, des interactions plus positives ont été observées chez des souches taxonomiquement différentes (plus éloignées les unes des autres dans l’arbre généalogique). De même, les souches qui aimaient se développer sur des sources de carbone différentes étaient plus susceptibles de présenter des interactions positives. Il est intéressant de noter que les interactions dépendent également de la capacité des bactéries à se développer dans une certaine source de carbone : les interactions négatives (compétition) sont plus nombreuses si l’une des bactéries se développe rapidement dans une certaine source de carbone. Cela explique comment la variabilité des interactions entre les mêmes paires sur différentes sources de carbone peut changer.

Les chercheurs ont également observé que certaines bactéries ne pouvaient pas se développer seules sur une certaine source de carbone, mais que lorsqu’une autre bactérie était introduite (qui pouvait se développer sur cette source de carbone), elle facilitait la croissance de la souche qui ne se développait pas dans 85 % des cas. En général, il est possible de trouver au moins un partenaire de co-culture pour favoriser la croissance des souches qui ne se développent pas sur presque toutes les sources de carbone, ce qui pourrait expliquer comment la biodiversité peut être soutenue lorsque peu de sources de carbone sont disponibles.

Les auteurs ont formulé quelques mécanismes qui peuvent expliquer la prévalence des interactions positives :

  •     Les souches aidées pourraient se développer sur des composants de cellules mortes accumulées (voir notre article sur le cannibalisme bactérien). Cette hypothèse est toutefois peu probable au vu de la durée des expériences réalisées dans l’article (24-72 heures).
  •     Les souches bactériennes ayant une influence positive sur d’autres souches peuvent sécréter des enzymes dégradant les sources de carbone, augmentant ainsi la disponibilité globale du carbone.
  •     Les souches peuvent sécréter des métabolites utilisés par d’autres souches, améliorant ainsi leur croissance.

N’oubliez pas qu’il s’agit d’une expérience de laboratoire, qui ne reflète pas la diversité bactérienne ou la complexité de l’environnement que l’on trouve dans le monde réel. Mais elle donne un petit aperçu d’un monde autrement invisible, et pourrait éventuellement conduire à la conception et au contrôle efficace de communautés microbiennes bénéfiques.


Article original : Jared Kehe, Anthony Oritz, Anthony Kulesa, Jeff Gore, Paul C. Blainey, Jonathan Friedman, Positive interactions are common along culturable bacteria, Science Advances, November 2021

Image: Made with Biorender


Traduit par: Anaïs Biclot