Microbes dans le fromage – compétition ou coopération





De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Microbes dans le fromage – compétition ou coopération

Les communautés microbiennes sont partout : dans, sur et autour de nous. La technologie de séquençage de l’ADN a permis de caractériser la composition, la diversité et la complexité des communautés microbiennes dans les différents écosystèmes. Cependant, étant donné qu’une grande partie de notre compréhension de la microbiologie et de la biologie moléculaire provient d’études utilisant des bactéries génétiquement modifiables et faciles à cultiver, telle que la bactérie modèle Escherichia coli, bon nombre de nos outils moléculaires sont insuffisants pour étudier les interactions complexes inter-espèces et inter-règnes.

Ainsi, la compréhension de la biologie des communautés multi-espèces présentes dans la nature nécessite une approche différente. Plus précisément, de nombreux scientifiques se sont lancés dans le développement de communautés modèles simples, dérivées d’aliments fermentés, comme le fromage. Au fur et à mesure qu’un fromage vieillit, un biofilm, ou une communauté attachée à la surface, de bactéries et de champignons se forme à sa surface. Ce type de biofilm est communément appelé la croûte de fromage.

Les chercheurs du laboratoire Dutton utilisent des croûtes de fromage pour étudier le développement et le fonctionnement des communautés microbiennes [1, 2]. Dans leur dernière étude, le groupe de Dutton, dirigée par la chercheuse Emily Pierce, a appliqué son système de modèle de croûte de fromage pour identifier les gènes spécifiques cruciaux pour soutenir la croissance des bactéries en présence d’un partenaire fongique.

L’une des espèces de bactéries qu’ils ont testées était E. coli pour tirer parti des ressources génétiques disponibles. Les gènes qu’ils ont découverts comme importants pour la croissance dans ce contexte ont fourni des indices moléculaires sur la nature de l’interaction bactérie-champignon.

Dans les environnements limités en fer, les microbes dépendent des sidérophores, pour récupérer le fer et permettre leur croissance [2,3]. Le groupe de Dutton a découvert que, lorsqu’ils sont cultivés seuls, les mutants E. coli qui sont défectueux dans la biosynthèse et l’absorption des sidérophores présentent un défaut de croissance. Cependant, lorsqu’ils sont cultivés avec un partenaire fongique, la croissance est sauvée (Figure 1, à gauche). Ce résultat suggère qu’en l’absence de son propre sidérophore, E. coli doit exploiter une autre source.

En effet, E. coli a un système de transport de sidérophores séparé, et peut donc absorber les sidérophores produits par des champignons [4,5]. Cela explique pourquoi les champignons ne parviennent pas à sauver la croissance des E. coli qui possèdent des mutations dans les systèmes d’absorption pour leurs propres sidérophores et les sidérophores fongiques (figure 1, à droite).

A gauche, les bactéries survivent avec les sidérophores fongiques (étoile) mais sans les transporteurs, les bactéries ne peuvent pas absorber les sidérophores (à droite), il n’y a pas de croissance bactérienne.

Ainsi, les analyses génétiques des chercheurs sur E. coli ont révélé que les bactéries bénéficient des sidérophores fongiques pour soutenir leur propre croissance (en particulier en l’absence de leurs propres sidérophores). Il est important de noter que le groupe de Dutton a observé que les champignons présents dans le sol et sur notre peau réduisent également le besoin des bactéries de produire leurs propres sidérophores, suggérant que l’échange de fer est une caractéristique commune des partenariats bactéries-champignons dans des contextes biologiques au-delà des communautés des croûtes de fromage.

Les résultats de cette étude renforcent le fait que les partenariats bactéries-champignons sont incontestablement complexes, car les types d’interactions varient entre différentes combinaisons de partenaires bactériens et fongiques. Par exemple, ici les analyses suggèrent que seuls certains partenaires fongiques inhibent la croissance bactérienne via la production d’antimicrobiens (Figure 2). De même, entre les souches bactériennes testées, le nombre de gènes importants pour la croissance dans ce contexte, et la sévérité de ces effets, par partenaire fongique, varient significativement.

Quoi qu’il en soit, Pierce et ses collègues ont pu identifier des thèmes communs qui couvrent diverses combinaisons de partenariats bactéries-champignons : la concurrence pour les nutriments, comme les acides aminés et la biotine (une vitamine), et, comme indiqué, le partage de nutriments comme les sidérophores (Figure 2 ).

Interactions complexes d’une communauté multi-espèces.
Productions d’antimicrobiens (losange), partage de nutriments (cercles rouges/violet et les sidérophores – étoile)

Les résultats de cette étude mettent en évidence qu’il reste beaucoup à découvrir dans le contexte des interactions bactéries-champignons, et plus largement dans les interactions inter-règnes. L’étude des microbes dans le contexte d’une communauté, comme les communautés de croûte de fromage mises en évidence ici, sera essentielle pour comprendre comment les communautés microbiennes se développent et fonctionnent dans des milieux naturels.


Article: Pierce, E.C., Morin, M., Little, J.C. et al. Bacterial–fungal interactions revealed by genome-wide analysis of bacterial mutant fitness. Nat Microbiol 6, 87–102 (2021).


Traduit par Anaïs Biclot