Amis ou ennemis? Ou les deux?

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Amis ou ennemis? Ou les deux?

Il existe une grande quantité de bactéries sur votre peau. Ce sont vos amies : elles vous aident à vous protéger contre les envahisseurs. Les plantes font une chose similaire ! Leurs feuilles regorgent de vie microbienne. Ces plantes ont des amis, tout comme nous, qui les aident à prospérer malgré les agents pathogènes qui les guettent dans tous les coins.

Christine Vogel et ses collègues de l’ETH Zürich, en Suisse, ont étudié les bactéries sur la plante modèle Arabidopsis thaliana (une cousine du chou-fleur, de la moutarde et du chou). D’après leurs recherches, cette pauvre plante pourrait être prise dans une amitié injuste avec de nombreux microbes.

Arabidopsis thaliana, ou “l’Arabette des dames”, cultivé dans le laboratoire de l’auteur.

Dans la nature, des centaines d’espèces bactériennes colonisent la feuille d’une plante. En retour, ces bactéries symbiotiques aident à combattre les micro-organismes nuisibles. Une telle relation est appelée mutualisme. Les chercheurs ont voulu savoir si toutes les bactéries aident réellement, ou si certaines d’entre elles se relâchent. L’équipe a fait pousser des plantes avec une seule bactérie symbiotique à la fois, et a introduit le même agent pathogène dans toutes les plantes. Ils ont ensuite noté si la plante restait en bonne santé (ce qui signifie que la bactérie a aidé) ou tombait malade (la bactérie n’a pas aidé). Après avoir testé 224 ( !) bactéries symbiotiques avec les plantes, il s’est avéré que la plante avait peu d’amis : seule une bactérie sur cinq a aidé à combattre l’ennemi ! La majorité des bactéries étaient-elles vraiment indifférentes ?

Pour approfondir la question, les chercheurs ont créé une variante d’Arabidopsis dont le système immunitaire est affaibli. Ils ont désactivé la régulation centrale d’un mécanisme particulier qui détecte les microbes (bons et mauvais). Cela signifie que la plante ne peut plus détecter les envahisseurs. Cela signifie-t-il que davantage de bactéries sautent à la rescousse ? Il s’avère qu’encore moins de micro-organismes ont protégé leur hôte.

Dans deux cas, la désactivation du mécanisme de détection a même exposé des bactéries récalcitrantes ! Les coupables, deux espèces de Xanthomonas, sont appelés “pathogènes opportunistes”. Ils aident une Arabidopsis en bonne santé, mais dès qu’ils en ont l’occasion, par exemple chez une plante immunodéprimée, ils dévorent leur hôte avant qu’un pathogène “honnête” puisse l’atteindre. Les bactéries ayant ce mode de vie sournois sont appelées “pathogènes opportunistes” et se trouvent également dans notre intestin et sur notre peau.

Un ami dans le besoin est un ami, certes… mais un ami qui saigne, c’est encore mieux ! (extrait de : “Perfect Morning” de Placebo). Créé avec BioRender.

Les scientifiques ont soupçonné que leur stratégie visant à désactiver le système immunitaire avait également perturbé une ligne de communication entre la plante et ses amies. Pour vérifier leur intuition, ils ont concentré leur attention sur une famille bactérienne particulière, Rhizobium, car cette famille contient à la fois des amis et des ennemis d’Arabidopsis. Plus de la moitié des différences génétiques dans cette famille déchirée se trouvaient dans les “systèmes de sécrétion”, qui sont les équivalents bactériens des canaux de communication. Les chercheurs ont désactivé un système de sécrétion dans un “Rhizobium ami”, et devinez quoi ? La bactérie n’a plus aidé la plante à combattre les envahisseurs.

Donc, voilà : pour être amis, il faut rester en contact ! Cela ne vaut pas seulement pour les humains enfermés pendant le confinement, mais aussi pour les plantes. Cette découverte nous aide à concevoir de nouvelles technologies pour protéger nos plantes les plus importantes : les cultures. Actuellement, notre production alimentaire est sujette à des infections, et les agriculteurs utilisent des pesticides pour les contrôler. Ces produits chimiques sécurisent notre approvisionnement alimentaire, ce qui est un grand exploit, mais ils nuisent également à notre environnement (et dans certains cas, à nous-mêmes). Ces nouvelles connaissances en immunologie végétale donnent aux phytogénéticiens une nouvelle idée sur la manière d’améliorer le système immunitaire des plantes, afin que les pesticides appartiennent au passé.


Article original : Vogel, C.M., Potthoff, D.B., Schäfer, M. et al. Protective role of the Arabidopsis leaf microbiota against a bacterial pathogen. Nat Microbiol 6, 1537–1548 (2021). https://doi.org/10.1038/s41564-021-00997-7

Featured image: https://researchoutreach.org/articles/subcellular-dissection-plant-immunity-towards-bacteria/

Traduit par Anaïs Biclot