Gagner des petites batailles souterraines.

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Gagner des petites batailles souterraines.

Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez fait une promenade ? Non, pas sur du béton ou dans votre maison, mais sur un vrai sol avec de la vraie terre. Avez-vous pris un moment pour apprécier le monde qui s’épanouit sous vos pieds – un monde pas très différent du nôtre ? Le sol est comme une grande nation dont les citoyens sont des bactéries, des champignons, des animaux et des plantes. La gestion des déchets de la nation est assurée par des bactéries et des champignons appelés décomposeurs. Les décomposeurs décomposent la matière morte et libèrent des minéraux et des sources de carbone et d’azote que tous les citoyens peuvent utiliser. 

Les champignons du groupe Mortierella sont des exemples de décomposeurs que l’on trouve dans le monde entier dans des conditions diverses. Ces champignons peuvent simplifier les grosses molécules en sources d’énergie prêtes à être consommées. Ainsi, la Mortierella empêche non seulement les créatures mortes de s’accumuler, mais élimine également les polluants du sol. Cependant, comme dans notre monde, les habitants de la terre entretiennent également des relations, parfois amicales, parfois mortelles. La Mortierella est la proie de petits vers ronds, également appelés nématodes. Le champignon se défend en utilisant des armes puissantes. 

Dans une publication récente, Hannah et son équipe de scientifiques allemands et australiens ont étudié l’une de ces armes possibles : les produits chimiques anti-nématodes. Ces chercheurs se sont particulièrement intéressés à une souche spécifique de Mortierella appelée NRRL 6337. Deux molécules appartenant à la classe des énamides de benzolactone (Fig. 1) ont été extraites de ce champignon. Les scientifiques ont avancé que ces deux substances chimiques pouvaient être cytotoxiques (cytotoxique : cyto → cellule ; toxique → poison) car leur structure était identique à celle de deux molécules cytotoxiques produites par une bactérie du groupe Burkholderia.

Fig. 1: Modèle à bille et bâton de l’un des énamides de benzolactone extraits de champignons. Figure créée à l’aide de https://molview.org/

Toutefois, cette révélation a amené les chercheurs à se demander si Mortierella était capable de synthétiser ces composants. Des recherches antérieures ont révélé que certains individus du groupe Mortierella entretiennent une relation intime avec des bactéries symbiotiques. Ces bactéries symbiotiques vivent à l’intérieur du champignon, faisant de cette relation une relation endosymbiotique (endosymbiotique : endo → à l’intérieur + symbiose → relation mutuellement bénéfique). Alors qui créer les énamides de benzolactone ? Le champignon ou la bactérie ?             

Pour répondre à cette question persistante, les scientifiques ont dû identifier la bactérie endosymbiotique. Des études génétiques sur NRRL 6337 ont montré que le symbiote était une bactérie du groupe Mycoavidus. En étudiant diverses formes de Mycoavidus appartenant à différentes formes de Mortierella, les chercheurs ont découvert que si la présence d’endosymbiotes est courante chez les Mortierella, toutes les Mortierella n’abritent pas le même type de bactéries. Les bactéries présentes dans les Mortierella peuvent avoir des caractéristiques et des capacités fonctionnelles différentes. En fait, certaines paires Mortierella-Mycoavidus peuvent même ne pas produire d’énamides de benzolactone. Compte tenu de cette incohérence, il est devenu douteux que les bactéries de la NRRL 6337 produisent ces molecules.

Les scientifiques ont cultivé NRRL 6337 en présence d’antibiotiques, ce qui aurait empêché la bactérie de se développer.  Ces colonies fongiques, débarrassées de leurs amis bactériens endosymbiotiques, n’ont pas révélé la présence de molécules cytotoxiques. En conclusion, les bactéries étaient probablement les maîtres chimistes créant les produits chimiques. 

Pour conclure définitivement que les bactéries étaient responsables, les scientifiques ont tenté de cultiver les bactéries en l’absence du champignon hôte. Cependant, cela n’a pas fonctionné. Cela explique la dépendance de la bactérie à son hôte. 

Bien qu’ils n’aient pas pu cultiver la bactérie sans son hôte, les scientifiques ont réussi à accomplir la tâche difficile d’obtenir de l’ADN bactérien pur. Le séquençage a permis de découvrir que cette bactérie était un nouvel individu du groupe Mycoavidus appelé Mycoavidus necroximicus.

Les gènes de ce symbiote ont été comparés à ceux d’autres symbiotes provenant de différents individus de Mortierella. La comparaison a révélé le véritable potentiel de production chimique de la bactérie par rapport à d’autres endosymbiotes apparentés. Une partie du code génétique de Mycoavidus necroximicus a montré une similitude remarquable avec les gènes de Burkholderia B8 connus pour être responsables de la synthèse des énamides de benzolactone. Enfin, il a été prouvé que cette bactérie symbiotique était responsable de la fabrication des produits chimiques. 

La dernière pièce du puzzle consistait à déterminer l’activité antinématode des énamides de benzolactone. Les scientifiques ont utilisé la NRRL 6337 et l’ont cultivée de deux manières, une culture avec l’endosymbiont présent et l’autre culture sans. Ensuite, chaque culture a été prélevée et le matériel cellulaire a été extrait et divisé en 9 fractions uniques à l’aide d’une méthode appelée HPLC. Ensuite, les 18 fractions ont été infectées par le prototype du nématode C. elegans.

Si la fraction permet la croissance des nématodes, cela implique l’absence d’activité anti-nématode mais si le nématode ne se développe pas, la fraction a un potentiel anti-nématode. C. elegans a pu se développer dans toutes les fractions provenant des champignons sans symbiote. Cependant, la 6ème fraction provenant du NRRL 6337 contenant des endosymbiotes possédait la capacité de tuer les nématodes (Fig, 2). Cette fraction active a été étudiée et les énamides de benzolactone ont été trouvées dans celle-ci. 

Fig. 2 est une représentation schématique de la conception expérimentale utilisée par les chercheurs. Crédits image : Tanishq Minda 

Les scientifiques ont obtenu des formes pures de ces produits chimiques et ont déterminé la dose de la substance qui inhibe la croissance du nématode. Pour évaluer la validité de cette découverte, les expériences ont été réalisées sur un nématode, A. avenae, qui est un véritable prédateur de Mortierella. L’étude a montré une activité anti-nématode réussie des composés en question. 

Le groupe de scientifiques allemands et australiens a réussi à mettre en évidence un mécanisme de défense microbienne contre un nématode prédateur jusqu’alors inconnu. Ce système de défense protège les champignons qui recyclent les matières mortes, enrichissant ainsi le sol et profitant finalement à ses habitants. La course aux armements microbiens a également des applications dans notre monde. Chaque année, d’innombrables cultures sont détruites à cause d’infections par des nématodes. Une fois purifiés, les produits microbiens capables de tuer les nématodes peuvent être créés et aider les agriculteurs à sauver leurs plantes. Chaque nouvelle découverte chimique comme celle-ci est un pas en avant dans la protection des humains, de nos cultures et d’autres organismes importants.      

La prochaine fois que vous marcherez sur le sol, n’oubliez pas de prendre un moment pour admirer les merveilles du monde sous-jacent !        


Article original: Bacterial endosymbionts protect beneficial soil fungus from nematode attack Hannah Büttner, Sarah P. Niehs, Koen Vandelannoote, Zoltán Cseresnyés, Benjamin Dose, Ingrid Richter, Ruman Gerst, Marc Thilo Figge, Timothy P. Stinear, Sacha J. Pidot, Christian Hertweck Proceedings of the National Academy of Sciences Sep 2021, 118 (37)

Featured image: Image Credits: Tanishq Minda


Traduit par Lucie Malard