
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Les protistes du sol comme indicateurs de la pollution
Pensons à la terre. Que contient un gramme de sol ? Outre les matières organiques et inorganiques, même la plus petite particule de sol contient BEAUCOUP de micro-organismes ! En 2018, Geisen et Bonkowski ont estimé qu’il y avait entre 10 000 et 100 000 microorganismes individuels par gramme de sol. Il s’agit de nombreuses bactéries, de champignons, de virus et de protistes. Les protistes, des microbes eucaryotes unicellulaires, constituent une grande partie de ces microorganismes du sol. On croit généralement qu’ils n’habitent que les systèmes aquatiques, mais ce n’est pas tout à fait exact. Les protistes présentent une diversité morphologique et physiologique remarquable, qui leur permet de vivre dans différents environnements et de s’adapter à diverses conditions.
Il existe une abondante littérature sur les bactéries et les champignons dans le sol, mais si peu sur les protistes du sol. Les scientifiques affirment que ces organismes ont été injustement négligés pendant une longue période. Leur impact sur l’environnement du sol est passé inaperçu. Par exemple, les protistes photosynthétiques sont responsables de l’apport de carbone dans les systèmes du sol. Les protistes du sol peuvent également réguler et équilibrer les populations microbiennes, car certains d’entre eux se nourrissent de bactéries, de champignons et même d’autres protistes. Enfin, certains protistes peuvent affecter de manière significative la croissance des plantes en stimulant l’activité bactérienne et en augmentant l’apport de nutriments sous forme de molécules à base de carbone et d’azote (par exemple, acides aminés, hydrates de carbone, etc.).
Le développement technologique et l’urbanisation rapide ont entraîné de nombreux problèmes et crises écologiques. Tout comme l’air est chargé de gaz à effet de serre, le sol est contaminé par des métaux lourds, des microplastiques et des polluants organiques. Il ne fait aucun doute que ces toxines affectent les organismes du sol au niveau individuel et au niveau de la population des espèces. Compte tenu d’une liste aussi longue des avantages que les protistes ont sur le sol en général, les scientifiques se demandent comment ces changements environnementaux peuvent influencer les protistes eux-mêmes.
Les métaux lourds sont des polluants courants du sol. En 2012, il a déjà été démontré que l’augmentation de la concentration de cadmium (Cd), de zinc (Zn), de plomb (Pb) et de mercure (Hg) réduisait de manière significative le nombre d’espèces d’Acanthamoeba, qui sont des amibes couramment récupérées dans le sol (Note : les amibes sont considérées comme des protistes de type animal). En outre, les métaux lourds accumulés endommagent l’ADN de ces organismes. Cela peut conduire soit à l’extinction (puisque le matériel génétique sain ne peut être transmis à la génération suivante), soit à des mutations, qui peuvent avoir des conséquences imprévisibles sur la génération suivante. Pour étudier la capacité des protistes à tolérer les métaux lourds dans leur environnement, de nombreux scientifiques utilisent les ciliés du sol comme organismes modèles. Ces organismes sont des indicateurs importants de l’état du sol en raison de leur fonction. Non seulement ils libèrent de l’azote qui devient disponible pour les plantes, mais ils se nourrissent également l
des bactéries présentes dans le sol. L’une des nombreuses expériences axées sur l’étude de ces interactions a été menée par Rico et al. Il a montré que la présence de métaux lourds induit la production d’espèces réactives de l’oxygène (ERO), qui ont un effet négatif sur les protistes. Ces espèces perturbent à leur tour le fonctionnement normal des cellules, ce qui peut avoir des conséquences inconnues sur la stabilité des populations microbiennes du sol.
Mais tous les polluants du sol ne sont pas nécessairement des métaux ou des plastiques. Les polluants organiques, tels que les engrais, peuvent également être nocifs. De nos jours, alors que la demande de fruits et légumes frais est si forte, il est difficile d’imaginer une ferme qui n’utilise pas d’engrais pour aider les plantes à pousser. Cependant, certaines données indiquent que la communauté des protistes du sol est plus sensible à ce type de traitement que les bactéries ou les champignons. Une étude de 2019 a montré que les engrais azotés modifient indirectement les facteurs abiotiques, comme le pH et le niveau de salinité, de l’environnement du sol, réduisant ainsi la diversité des protistes. Pour l’avenir, les principales questions préoccupantes sont les suivantes : Quelle est la gravité de ces changements sur le sol et les organismes qu’il contient ? Le sol aura-t-il la même composition et les mêmes propriétés microbiennes sans les protistes ?
Alors comment les protistes s’adaptent-ils ? L’une des façons de coexister avec les polluants métalliques est de les absorber et de les accumuler. Cela est possible pour les protistes car ils possèdent des protéines primitives de liaison au zinc (Zn) et au cuivre (Cu), comme tous les eucaryotes. Cela permet aux protistes d’absorber et d’accumuler le Zn ou le Cu jusqu’à ce qu’ils soient nécessaires aux réactions biologiques. Cette observation a été faite dans l’étude de Hao et al. en 2015, et c’est, en effet, une façon très inhabituelle de survivre. Gardez vos amis près de vous et vos ennemis encore plus près !
Avec tout ce que l’on sait déjà sur les protistes du sol, il reste à approfondir les recherches sur la relation entre le monde microbien et les polluants. Pour mieux comprendre cette relation, les scientifiques ont l’intention d’utiliser les protistes du sol comme indicateurs de la pollution. La logique est simple : Puisque les protistes sont si abondants dans le sol, toute perturbation de l’environnement du sol affectera les protistes. Si les polluants industriels s’accumulent dans le sol et ont un impact négatif sur sa santé, l’activité et les fonctions “biologiques” des protistes du sol seront également interrompues. Les scientifiques disposeront ainsi de suffisamment d’informations pour estimer les risques liés à une accumulation accrue de polluants. Espérons que le secret de la lutte contre la pollution sera bientôt révélé !
Article original: Chenyuan Wu, Yuanqing Chao, Longfei Shu, Rongliang Qiu, Interactions between soil protists and pollutants: An unsolved puzzle, Journal of Hazardous Materials,2022
Featured image: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304389422000851
Traduit par Lucie Malard