Une histoire de pathogènes champion de la natation.

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Une histoire de pathogènes champion de la natation.

Certaines bactéries peuvent nager pour explorer leur environnement. Pour ce faire, elles utilisent souvent leurs “queues” en forme de fouet (flagelles) pour se déplacer. La motilité peut être extrêmement importante pour leur survie. Grâce à elle, elles peuvent rechercher activement des nutriments ou répondre aux produits chimiques qui les attirent ou les repoussent par un processus appelé chimiotaxie. Cependant, il y a aussi un côté sombre à cela : les bactéries peuvent utiliser la motilité pour provoquer une infection plus grave chez leurs hôtes. L’activité natatoire de Pseudomonas aeruginosa est l’un des facteurs de sa virulence envers les humains. Les chercheurs ont découvert comment cette espèce rend sa motilité natatoire encore plus efficace. Mais qu’ont-ils découvert exactement et qu’est-ce que cela signifie pour nous ?

P. aeruginosa – notre micro-vilain nageur

Les Pseudomonas spp. constituent un groupe diversifié de protéobactéries. La plus remarquable d’entre elles est l’agent pathogène humain opportuniste, P. aeruginosa, que les scientifiques étudient depuis plus d’un siècle. P. aeruginosa est facile à cultiver et comme la manipulation de son génome n’est pas compliquée, elle est l’une des stars de la recherche mondiale en microbiologie. Bien qu’elle ne soit pas extrêmement virulente, elle possède une extraordinaire capacité à se développer rapidement et à former un biofilm très solide. Cependant, ce ne sont pas les seules raisons qui la rendent dangereuse.

Résistance aux antibiotiques (alias le cauchemar des soins de santé)

P. aeruginosa est la première cause la plus fréquente d’infection des brûlures. En outre, elle est souvent à l’origine d’infections nosocomiales typiques liées à l’utilisation de respirateurs (notamment chez les patients atteints de mucoviscidose) et de cathéters. Les hôpitaux sont un environnement idéal pour que les bactéries développent une résistance aux antibiotiques. Selon le récent rapport de l’OMS sur la résistance microbienne aux antibiotiques en Europe, P. aeruginosa est l’un des neuf agents pathogènes préoccupants à cet égard. En outre, les souches de P. aeruginosa multirésistantes tuent plusieurs milliers de personnes chaque année rien qu’aux États-Unis (CDC). L’exploration des mécanismes d’infection et de propagation de P. aeruginosa est donc extrêmement précieuse.

Comment se déplacent-elles ?

La propagation de diverses infections bactériennes est facilitée par la motilité microbienne, comme la nage. De nombreuses espèces de bactéries sont flagellées, ce qui signifie qu’elles possèdent au moins une “queue” hélicoïdale avec un moteur rotatif à sa base, dans la membrane cellulaire. La variété du nombre de flagelles et le sens de leur rotation déterminent le mode de nage. Les moteurs des flagelles peuvent tourner dans le sens des aiguilles d’une montre (CW) ou dans le sens inverse (CCW). Cela permet de tirer ou de pousser la cellule – ou de la faire culbuter, comme dans le cas d’E. coli, qui possède jusqu’à dix flagelles !

Le flagelle de P. aeruginosa au travail

P. aeruginosa ne possède qu’un seul flagelle et les chercheurs ont récemment établi qu’il permettait à l’agent pathogène de nager selon un schéma “course-retour-pause”. Le mouvement de “course” est alimenté par la rotation CCW du flagelle. Il pousse la cellule vers l’avant (mode “push”). Ensuite, la rotation dans le sens contraire des aiguilles d’une montre provoque le mouvement inverse qui change le sens de la nage d’environ 180°. Ce type de mouvement est également décrit comme une “traction”, la cellule bactérienne étant tirée vers le flagelle. Cependant, le mécanisme de “pause” n’a pas été élucidé pendant plusieurs années et on a considéré que les légers changements de direction étaient causés par le mouvement brownien. Jusqu’à ce que…

Figure 1: Moteur flagellaire de Pseudomonas.
Reproduced from: Bouteiller et al., 2021, Pseudomonas Flagella: Generalities and Specificities. Int. J. Mol. Sci., 22, 3337. https://doi.org/10.3390/ijms22073337

L’enveloppe

Les chercheurs du département de physique de l’université des sciences et technologies de Chine à Hefei ont décidé d’examiner de près la “pause” dans le comportement natatoire de P. aeruginosa. Pour visualiser les flagelles au microscope à fluorescence, Tian et al. ont introduit une mutation qui leur a permis de fixer un colorant fluorescent à la protéine du filament de la flagelline, FliC. Ils ont ensuite cultivé les bactéries dans des chambres spéciales en 3D qui permettent l’observation microscopique de la motilité sans restriction. De façon surprenante, ils ont découvert que pendant la pause de nage, P. aeruginosa ne reste pas immobile, mais enroule son flagelle autour de la cellule.

Figure 2 : Le mode de nage “run-reverse-wrap” de P. aeruginosa visualisé par microscopie à fluorescence. Ici, le mouvement commence par la ” marche arrière ” (” pull “). La microphotographie 3 montre l’enroulement (pause).Reproduit de : Tian et al. 2022, A new mode of swimming in singly flagellated Pseudomonas aeruginosa. PNAS, 119 (14) : e2120508119. https://doi.org/10.1073/pnas.212050811

Comment font-ils pour l’envelopper ?

Les chercheurs ne se sont pas contentés de visualiser ce nouveau type de mouvement. Ils ont décidé de déchiffrer ce qui rend ce comportement avantageux pour P. aeruginosa. Ils ont d’abord découvert le mécanisme physique à l’origine de l'”enroulement”. Il s’est avéré que ce comportement se produit lorsque le flambage du moteur flagellaire devient instable en raison des forces qui s’exercent sur lui pendant le mode “traction”. La position “enroulée” du flagelle est également instable : le crochet flagellaire est extrêmement plié pendant l’enroulement et, après un certain temps, la tension physique redresse le crochet, ce qui déclenche le mode “poussée”.

L’enveloppe est-elle utile à la bactérie ?

Outre les observations microscopiques, les scientifiques ont mesuré diverses propriétés physiques pendant le mouvement du microbe, telles que la vitesse de nage, le changement angulaire de direction et la vitesse de rotation du corps. Grâce à leurs calculs, ils ont découvert que le mouvement d’enveloppement offre à la bactérie un éventail de possibilités beaucoup plus large lorsqu’elle change de direction. Lorsque P. aeruginosa nage en mode “marche arrière”, l’interrupteur “tirer” ↔ “pousser” fait tourner la cellule en sens inverse (l’angle de rotation est de 150° à 180°). Cependant, le ” wrap ” entre ces modes fait que la plage d’angle de rotation devient beaucoup plus large (0°-180°, l’angle de rotation maximum est d’environ 95°). Cette extension de la plage d’angle de rotation est bénéfique pour les bactéries. Plus précisément, elle rend leurs explorations environnementales plus efficaces. Mais comment cela fonctionne-t-il en pratique ?

Attraction chimique

Dans leur dernière expérience décrite, les scientifiques ont utilisé un certain nombre de propriétés physiques de la cellule (par exemple, la vitesse, les angles de rotation et la poussée flagellaire) en mode “run-reverse-wrap” pour calculer un modèle simulé de chimiotaxie de P. aeruginosa, c’est-à-dire la nage vers l’attractif chimique. À l’aide d’un ensemble de données et de diverses conditions de test, ils ont calculé la vitesse à laquelle la cellule dérive vers l’agent chimio-attracteur selon qu’elle intègre ou non l’enroulement dans sa motilité. Comme prévu, les chercheurs ont révélé que ce comportement rend P. aeruginosa plus performant en matière de chimiotaxie. En général, le mode “enveloppement” permet à la cellule de dériver vers l’agent chimio-attracteur environ 20 % plus rapidement que lorsqu’elle se déplace sans les pauses “enveloppement”. Ceci est le résultat d’une plus grande plage d’angles de rotation pendant le changement de direction du mouvement.   

L’enveloppe est-elle important pour nous ?

Dans l’ensemble, il a été démontré que P. aeruginosa possède un nouveau type de comportement mobile – l’enroulement du flagelle. Cela en fait un meilleur explorateur de son environnement. Pour nous, cependant, cela peut signifier plusieurs choses. Tout d’abord, une forte motilité flagellaire chez P. aeruginosa est associée à de plus mauvais résultats d’infection. Le mode “enveloppement” pourrait permettre à la bactérie de coloniser plus efficacement les plaies (septicémie due à une brûlure) ou les poumons (pneumonie). Ainsi, à l’heure des problèmes de résistance aux antibiotiques, la motilité microbienne pourrait être la cible candidate pour de nouveaux traitements des infections. Il convient de noter que cela pourrait également être vrai pour des agents pathogènes autres que P. aeruginosa. En outre, les chercheurs pensent que le mécanisme d’enroulement des flagelles inspirera la recherche en microrobotique, un domaine qui pourrait un jour révolutionner la médecine. Bravo, P. aeruginosa, micro-rockstar maléfique !


Article original: Tian M., Wu Z., Zhang R., and Yuan J. (2022). A new mode of swimming in singly flagellated Pseudomonas aeruginosa. PNAS, 119(14)e2120508119.

Featured image: Artwork: Marta Matuszewska (author)

Traduit par Anaïs Biclot