A la rencontre des ancêtres

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


A la rencontre des ancêtres

La planète Terre s’est formée il y a environ 4,5 milliards d’années, sous l’effet de la gravité qui a attiré des poussières cosmiques et des gaz tourbillonnants. Assez “rapidement” après cela, la première forme de vie est apparue, et elle était, bien sûr, de nature microscopique. Les scientifiques estiment que le tout premier signe de vie a été laissé par des micro-organismes sur des roches il y a environ 3,9 milliards d’années. Alors que la vie biologique continuait à s’épanouir de la manière la plus chaotique et incompréhensible qui soit, un organisme unicellulaire très distinct est apparu. Il sera plus tard connu sous le nom de LUCA (last universal common ancestor ou dernier ancêtre commun universel (DACU) en francais). On pense que LUCA est le dernier ancêtre de toutes les formes de vie existant actuellement sur Terre (il ne s’agit toutefois pas de la première forme de vie).

La curiosité humaine, ainsi que les avancées scientifiques et technologiques, n’ont cessé de percer le mystère des débuts de la vie sur Terre. Les scientifiques ont voulu comprendre la voie du développement évolutif de la vie. La question était la suivante : “Que s’est-il passé après LUCA et comment la vie s’est-elle développée pour devenir ce que nous connaissons aujourd’hui ?” Les microbiologistes, les biologistes évolutionnistes et les généticiens ont proposé un modèle de trois domaines de la vie : ce modèle s’est imposé pendant longtemps, jusqu’à ce que les chercheurs décident de creuser un peu plus loin…

Arbre phylogénétique de la vie avec LUCA en bas. Le LBCA (last bacterial common ancestor = dernier ancêtre commun bactérien) est placé sur la branche d’un domaine bactérien, et il indique le point de divergence de nombreux phyla bactériens. Source : Arbre phylogénétique et Biorender.com

On sait que les bactéries sont un domaine monophylétique, ce qui signifie qu’elles ont eu un seul ancêtre clair. Il se peut donc qu’il y ait eu un LBCA (last bacterial common ancestor = dernier ancêtre commun bactérien). Joana C. Xavier et ses collègues souhaitaient en savoir plus sur le LBCA. Ils ont donc axé leurs recherches sur la reconstitution du mode de vie et de l’habitat de cette très ancienne bactérie.

Le plus simple était d’identifier si cette bactérie respirait ou non de l’oxygène. De nombreuses formes de vie présentes sur cette planète aujourd’hui, y compris nous, les humains, ne peuvent exister sans oxygène. Une simple molécule d’O2 joue un rôle essentiel dans le processus de production d’énergie, qui alimente tous les systèmes biologiques. Cependant, la Terre ne disposait pas d’oxygène atmosphérique jusqu’à il y a environ 2,4 milliards d’années, ce qui signifie qu’il existait des formes de vie qui survivaient très bien sans ce précieux gaz. Les micro-organismes qui n’ont pas besoin d’oxygène pour fonctionner sont appelés anaérobies, et il a été conclu que le LBCA était très probablement l’un d’entre eux.

De nombreuses anaérobies ont un ensemble de voies biochimiques distinctes qu’ils utilisent pour générer de l’énergie et, comme vous pouvez le deviner, ces voies ont vu le jour il y a des milliards d’années. Diverses sources de preuves suggèrent que les premières cellules LBCA étaient autotrophes. Cela signifie que la bactérie en question générait sa propre nourriture en utilisant un ensemble très minimal d’éléments. Si vous y réfléchissez, c’est parfaitement logique. À l’époque où LBCA existait, la Terre était une grande soupe salée où flottaient des millions d’atomes et de minéraux différents. La croûte de la planète commençait tout juste à se former, et les continents étaient à l’état d’embryon. La soi-disant “atmosphère” était composée uniquement de dioxyde de carbone (CO2), d’azote (N2) et de vapeur d’eau. Ce qui est intéressant, c’est que le LBCA n’avait besoin que de 9 composés pour achever son métabolisme intermédiaire, qui désigne tous les processus dans une cellule qui convertissent les molécules nutritionnelles (“nourriture”) en composants cellulaires (appelons-les “organites précoces”). 9 semble être un nombre très faible, mais, néanmoins, ce nombre était suffisant pour assurer la survie de la bactérie. Pouvons-nous qualifier la LBCA de bactérie primitive ou était-elle intelligemment équipée pour faire face aux circonstances actuelles… À vous de décider !

Quel type de source d’énergie la LBCA a-t-elle généré ? Vous allez être surpris, mais c’était un bon vieux glucose (C6H12O6) ! Pour fabriquer du glucose, l’évolution a doté LBCA d’un mécanisme très particulier que même notre corps utilise aujourd’hui : la gluconéogenèse – la formation de nouvelles molécules de glucose à partir de substrats carbonés non glucidiques.

Enfin, les chercheurs ont essayé de trouver un organisme moderne qui serait le plus proche parent du LBCA, et ce micro-organisme s’est avéré appartenir à la classe des Clostridia. Les bactéries de cette classe sont connues pour leur respiration strictement anaérobie, ce qui correspond à ce que Xavier et al. ont découvert sur le LBCA. Cette étude a été réalisée en analysant les familles de protéines et en calculant la divergence évolutive des gènes bactériens. Toutefois, les chercheurs soulignent que les lignées génétiques bactériennes sont généralement très imbriquées en raison de l’effet du transfert latéral ou horizontal de gènes. Par conséquent, une perspective verticale traditionnelle de l’évolution bactérienne ne sera pas correcte ici, car les gènes ont été transférés au hasard d’une espèce bactérienne à une autre pendant des millions d’années.

Le transfert horizontal (latéral) de gènes complique souvent l’analyse de l’évolution des espèces bactériennes. Dans ce cas, les gènes sont souvent acquis non pas d’un parent ( à gauche), mais d’un organisme différent ( à droite). Source : Biorender.com

Cette recherche montre non seulement la puissance de la reconstruction des événements de l’évolution, mais aussi à quel point toute la vie sur Terre est étroitement liée. Des vestiges d’anciennes formes de vie, qui existaient il y a des milliards d’années, peuvent encore être trouvés aujourd’hui et ont toujours un impact significatif sur la compréhension de la vie. Qui sait, peut-être que les microbes anciens peuvent, en effet, changer l’avenir de la science.


Article original : Xavier, J.C., Gerhards, R.E., Wimmer, J.L.E. et al. The metabolic network of the last bacterial common ancestor. Commun Biol 4, 413 (2021). https://doi.org/10.1038/s42003-021-01918-4

Featured image: https://pixabay.com/vectors/family-tree-genealogical-tree-6093805/?download and Biorender.com

*Remarque : l’arbre phylogénétique utilisé comme image vedette NE représente PAS une voie d’évolution exacte des microbes placés dans cet arbre. Le seul fait évolutif vrai dans cet arbre est que LBCA était à l’origine de la divergence microbienne.