La communauté bactérienne de votre vieux chewing-gum.

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


La communauté bactérienne de votre vieux chewing-gum.

Les communautés microbiennes existent dans des endroits surprenants. Par exemple, de nombreux scientifiques étudient le contenu bactérien des vieux chewing-gums mis au rebut – le microbiote des chewing-gums gaspillés. Pourquoi ? Leur hypothèse est que les bactéries qui persistent au sein des communautés microbiennes de chewing-gum gaspillé pourraient posséder des capacités de biodégradation du chewing-gum.

Dans une étude récente, Satari et al. ont déterminé le contenu bactérien des chewing-gums usagés. Pour ce faire, ils ont prélevé des échantillons de chewing-gum sur le trottoir de cinq pays différents : Espagne, France, Singapour, Grèce et Turquie. Ils ont analysé la diversité bactérienne de chaque échantillon à l’aide d’une technique appelée séquençage de nouvelle génération, qui permet de séquencer rapidement et efficacement l’ADN de milliers d’échantillons en parallèle. Cette méthode indique aux chercheurs quelles bactéries sont présentes et la proportion relative de chaque bactérie par rapport aux autres membres de la communauté. Fait intéressant, leurs résultats ont montré que les échantillons partageaient de nombreuses bactéries du même genre (Figure 1). Les bactéries classées dans le même genre sont proches les unes des autres, comme des cousins. Il est important de noter que l’abondance relative de chaque genre varie de manière significative entre les échantillons collectés dans différents endroits (Figure 1), ce qui suggère que l’environnement local détermine le développement de la communauté du bactériome du chewing-gum gaspillé.

Dans de nombreuses villes, le trottoir est orné de ces tâches de résidus noirs et sombres. Il s’agit de vieux morceaux de chewing-gum. De nombreux chewing-gums sont non biodégradables, ce qui signifie qu’ils ne se dégradent pas facilement et qu’ils ont une longue durée de vie. Cela est dû au composant insoluble dans l’eau du chewing-gum, un matériau synthétique ressemblant à du caoutchouc qui donne au chewing-gum son caractère collant et sa texture moelleuse. L’autre composant principal du chewing-gum est soluble dans l’eau et contient le sucre ou les alcools de sucre utilisés pour sucrer la gomme et lui donner du goût. Le chewing-gum usagé est considéré comme un polluant environnemental, et son élimination est coûteuse et prend du temps. Il est donc impératif de trouver des solutions rentables et rapides pour éliminer les chewing-gums usagés.

Figure 1. Diversité bactérienne des échantillons de chewing-gum usagés. Les taxons les plus abondants de chaque endroit sont présentés dans des diagrammes circulaires. Figure de Satari et al.

Pour examiner la succession microbienne dans les chewing-gums gaspillés (c’est-à-dire l’évolution de la diversité microbienne au fil du temps), les chercheurs ont mis en place une expérience consistant à mâcher des chewing-gums et à les placer sur un trottoir à l’extérieur. Sur une période de 12 semaines, des échantillons ont été prélevés pour le séquençage de l’ADN afin de déterminer les changements dynamiques du contenu bactérien. Comme on pouvait s’y attendre, les types de bactéries les plus fréquemment trouvés au cours des premières semaines étaient connus pour être des membres du microbiome oral. Leur abondance a diminué au fil du temps, tandis que, parallèlement, l’abondance des bactéries environnementales non orales augmentait.

Les chercheurs ont montré que cette succession microbienne s’est finalement stabilisée au cours des dernières semaines, ce qui signifie que le rythme des changements dans les abondances bactériennes a ralenti. Il est intéressant de noter que des bactéries orales ont encore été détectées à la fin de la période de 12 semaines, bien qu’à de faibles fréquences, ce qui indique que les chewing-gums usagés sont porteurs de bactéries orales même plusieurs semaines après avoir été jetés. L’expérience a également permis d’identifier les genres de bactéries détectés dans les échantillons provenant de différents pays, ce qui suggère que ces bactéries pourraient être des colonisateurs rapides et communs des chewing-gums usagés. En général, leurs résultats montrent que le temps d’exposition à l’extérieur est en corrélation avec les profils bactériens des chewing-gums usagés.

L’une des principales aspirations de cette recherche était d’identifier les bactéries ayant la capacité de dégrader les chewing-gums. Il est intéressant de noter que le séquençage de l’ADN des échantillons de chewing-gum récoltés lors de l’expérience de succession microbienne a permis d’identifier des bactéries déjà connues pour dégrader les caoutchoucs. Par exemple, il a été démontré que les bactéries du genre Bacillus dégradent les caoutchoucs naturels et synthétiques. De même, les bactéries du genre Corynebacterium sont une composante du microbiome oral et dégradent le caoutchouc naturel. Dans l’expérience des chercheurs, les espèces de Bacillus ont progressivement augmenté en abondance au cours de l’incubation en extérieur, et les espèces de Corynebacterium ont été détectées à une fréquence faible mais stable au cours des 12 semaines. Leur présence, entre autres, suggère qu’elles pourraient devenir importantes pour la biorémédiation des chewing-gums.

Enfin, pour caractériser expérimentalement les éventuelles activités de dégradation de la gomme par les bactéries du chewing-gum, les chercheurs ont testé la croissance de diverses espèces isolées sur des milieux supplémentés en poudre de chewing-gum (préparée en broyant de la gomme Orbit et Trident). Dans chaque cas, la seule source de carbone, ou de nourriture, pour les bactéries est la poudre de chewing-gum ajoutée. Leur logique est que si les bactéries peuvent se développer sur la source de carbone dérivée du chewing-gum, elles seront capables de la métaboliser. En effet, bon nombre de leurs bactéries cultivées se sont développées en présence des poudres de chewing-gum testées, ce qui suggère que le chewing-gum abrite des bactéries capables de le dégrader (figure 2). Ces résultats, associés au fait que de nombreuses bactéries identifiées lors du séquençage de l’ADN des chewing-gums usagés ont déjà été décrites comme dégradant le caoutchouc, constituent une première étape prometteuse dans l’utilisation des bactéries comme stratégie de biorestauration des chewing-gums usagés.

Figure 2. Croissance des isolats bactériens de chewing-gum sur des milieux enrichis en poudre de chewing-gum I, II et III, comparée à la croissance sur un milieu sans source de carbone. M9 désigne le milieu spécifique de croissance bactérienne utilisé. Figure de Satari et al.

Cette étude de Satari et al. est le premier rapport sur le bactériome du chewing-gum gaspillé. L’une des principales réserves de cette étude est que les chercheurs ont analysé un petit nombre d’échantillons collectés dans différents pays. Ainsi, à l’avenir, des recherches supplémentaires sont cruciales pour comprendre les capacités de biodégradation du bactériome du chewing-gum usagé et son application dans l’élimination des chewing-gums jetés dans les espaces publics.


Article original: Satari, L., Guillén, A., Vidal-Verdú, À. et al. The wasted chewing gum bacteriome. Sci Rep 10, 16846 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020-73913-4

Featured image: Dan Kitwood (Getty Images)


Traduit par Anaïs Biclot