Nous pouvons le faire, les plantes aussi : savoir l’heure qu’il est grâce à notre environnement. Et les bactéries ?

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Les bactéries savent-elles l’heure qu’il est?
Les êtres humains, les animaux et les plantes ont ce qu’on appelle un rythme circadien, c’est une horloge interne qui suit un cycle de 24 heures. Parce que cette horloge se base principalement sur le cycle naturel jour/nuit, ce n’est pas une surprise que ce cycle se trouve aussi chez les bactéries photosynthétiques qui ont besoin de lumière pour se procurer de l’énergie.
Cependant, jusqu’à maintenant les chercheurs n’ont pas trouvé ces mécanismes chez d’autres bactéries non photosynthétiques. Pourquoi est-ce si important? Et bien les bactéries jouent un rôle important dans l’écologie, notre santé ainsi que dans le domaine des biotechnologies industrielles. La possibilité d’exploiter cette horloge interne pourrait avoir un énorme impact sur les applications qui dépendent du temps comme les biotechnologies, l’administration des médicaments ou la protection des cultures dans l’agriculture.
Pour la première fois, Zheng Eelderink-Chen et ses collaborateurs ont trouvé cette horloge biologique chez Bacillus subtilis, une bactérie trouvée communément dans le sol et dans l’appareil gastro-intestinal des mammifères herbivores ainsi que chez les êtres humains. Cette bactérie est aussi très intéressante car elle est utilisée dans certaines applications biotechnologiques telles que pour la production des détergents pour la lessive ou la protection des cultures.

Ils ont étudié différents zeitgebers (un terme allemand qui se traduit littéralement en “qui donne le temps” – un minuteur) pour voir comment les signaux environnementaux influencent certains processus dans la cellule. Pour un de ces processus, ils ont regardé le photorécepteur de la lumière bleue (codé par le gène ytvA), partie intégrante des systèmes circadiens étudiés jusqu’à présent chez les plantes et les champignons. Le deuxième gène qu’ils ont étudié est impliqué dans le mécanisme de formation des biofilms et spores chez les bactéries (KinC).
Pour mesurer l’expression de ces gènes, ils ont fusionné un gène luciférase à leurs promoteurs respectifs. Ceci résulte dans la production d’une enzyme bioluminescente ce qui permet aux chercheurs de visualiser l’activité des gènes dans les bactéries.
Le premier zeitgeber observé était un cycle nuit/jour naturel. Les bactéries ont été sujettes à une période de 12 heures de jour et de nuit pendant que les chercheurs mesuraient la bioluminescence de la luciférase : ils ont trouvé que les niveaux de ytvA et KinC augmentaient pendant la période de nuit, et diminuaient pendant la période de jour! Ce cycle continuait d’être observé quand les bactéries étaient constamment laissées dans le noir, mais diminuait après quelques jours.

Des expériences similaires ont été faites avec cette fois des changements dans les températures journalières : 12 heures à 25,5°C et à 28,5°C. Étonnamment, à l’inverse du cycle jour/nuit, l’activité des gènes était en général plus élevée dans la phase la plus chaude (correspondant à la période de jour). Les auteurs ont aussi montré que les rythmes circadiens détectés dépendent des caractéristiques environnementales comme l’apport en nutriments et la température ambiante. De plus, seules les cultures qui forment des biofilms semblent avoir un rythme circadien.
Cette recherche pourrait être le commencement de nouvelles interrogations : Est-ce que le moment de la journée de l’exposition à une bactérie pathogène est important pour l’infection? Peut-on optimiser les processus biotechnologiques si on prend en compte le moment de la journée? Il est maintenant démontré que les bactéries peuvent connaître l’heure, la suite est de comprendre en quoi avoir ce mécanisme leur donne un avantage.
Doi: 10.1126/sciadv.abe2086
Traduit par Anaïs Biclot