La compétition est la norme chez les microbes cultivables

                                

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


La compétition est la norme chez les microbes cultivables

Dans tous les environnements, les espèces individuelles de microbes ne restent pas isolées, mais vivent plutôt en communautés multi-espèces où de nombreuses cellules de différentes espèces interagissent les unes avec les autres. L’étude de ces interactions au sein des communautés microbiennes est un domaine en pleine expansion depuis quelques décennies. On représente généralement ces interactions par des réseaux où les espèces sont les nœuds (cercles) et les interactions les arêtes (lignes).

Les réseaux d’interaction microbiens peuvent prendre plusieurs formes : il peut y avoir des « espèces clés de voûte » comme centre du réseau (à gauche), des « espèces hub » étant des nœuds obligatoires reliant deux parties différentes du réseau (au milieu), ou des réseaux plus homogènes avec toutes les espèces interagir les uns avec les autres (à droite). Crédits : Verima Pereira. Adapté de Das, Pereira et al. (2017). Scientific Reports 7, 1-9. https://doi.org/10.1038/s41598-017-15510-6 under creative commons license http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/

Une question clé lors de l’étude des réseaux d’interaction microbienne est : les espèces de la communauté coopèrent-elles ou sont-elles plutôt en compétition ?

Exemples de coopération chez les microbes.
Crédits: Victor Mataigne, avec l’aimable
autorisation de l’auteur.

En effet, ces deux types d’interactions ont déjà été observés par des scientifiques étudiant les communautés microbiennes. La coopération peut prendre de nombreuses formes. Par exemple, le “cross-feeding”, où un microbe mange un nutriment, produit des “déchets” et ces déchets sont utilisés par un autre microbe comme nutriment ; ou les biofilms, dans lesquels la communauté microbienne produit du mucus pour protéger les cellules des prédateurs et des perturbations externes. La compétition implique généralement une “bataille” pour accéder à un nutriment dont deux espèces différentes (ou plus) ont besoin pour survivre, ou encore la production d’antibiotiques pour tuer d’autres espèces.

Dans leur article, Foster et Bell ont tenté d’apporter une première réponse à la question susmentionnée. Comme seule une infime partie des micro-organismes connus peut être cultivée en laboratoire par les techniques actuelles (voir par exemple ici et ici), ils ont dû se concentrer sur ces bactéries cultivables. 

Ils ont d’abord isolé des bactéries à partir de “trous d’eau” des hêtres : l’eau de pluie s’accumule dans des trous naturels formés par les racines ou le tronc, servant d’endroit parfait pour le développement des bactéries. Ils ont mené deux expériences distinctes avec respectivement 72 (Exp1) et 32 espèces (Exp2), et ont mesuré la productivité des communautés résultantes. Ils ont ainsi obtenu 683 mélanges dans l’expérience Exp1 et 480 dans l’expérience Exp2 (en comptant les monocultures, c’est-à-dire chaque espèce individuelle cultivée seule afin de pouvoir comparer avec les cultures multi-espèces). Ils ont ensuite évalué la productivité en mesurant la quantité de CO2 libérée par chaque communauté : plus la production de CO2 est importante, plus la communauté est “productive”.

Un trou d’eau naturel au pied d’un hêtre. Crédits : Wikicommons.

Ils ont constaté que la grande majorité des interactions par paires (interactions entre deux espèces), dans les deux expériences, étaient de nature compétitive. Seule une petite minorité était de nature coopérative, et la plupart d’entre elles n’étaient associées qu’à un modeste gain de productivité. De plus, la coopération était la plupart du temps bénéfique pour un seul microbe, et rarement bénéfique pour les deux. Les communautés multi-espèces ont généralement obtenu de meilleurs résultats que la moyenne des monocultures, mais cela suggère seulement que la compétition entre les différentes espèces est moins forte que la compétition entre les différents individus d’une même espèce. En fin de compte, les auteurs n’ont trouvé aucune preuve de l’existence d’interactions positives impliquant plus de deux espèces (appelées “interactions d’ordre supérieur” dans les études sur les communautés microbiennes).

Interactions inférées par mesure de
la productivité. Adapté de Foster & Bell, 2012.

Sur la base des données obtenues à partir de monocultures, les prédictions annoncent que la coopération améliore la productivité, qui devrait augmenter si d’autres espèces sont ajoutées au mélange (représenté ici par la ligne rouge). Cependant, au cours des expériences, les chercheurs n’ont constaté aucune augmentation de la productivité, ce qui les a amenés à conclure qu’il n’y avait pas de coopération entre les différentes espèces (ligne noire).  

Ces résultats sont surprenants car on pourrait s’attendre à ce que les bactéries dans la nature aient plus intérêt à coopérer pour survivre qu’à entrer en compétition. Pourquoi n’a-t-on pas observé davantage d’interactions positives ? Foster et Bell ont avancé deux arguments. Premièrement, il existe un potentiel de compétition pour les ressources entre les microbes : la nourriture peut s’avérer rare dans l’environnement, et les microbes n’ont pas nécessairement un large éventail de nutriments compatibles avec leur régime alimentaire. Deuxièmement, les écosystèmes microbiens dans la nature sont extrêmement diversifiés par rapport aux écosystèmes animaux ou végétaux en termes de température, de pression, de lumière, etc. Dans de tels environnements, ils n’ont peut-être pas du tout la possibilité de développer de la coopération.

Foster et Bell ont conclu que si les interactions avec d’autres espèces sont transitoires et peu fiables, il y aura peu d’intérêt (et un coût potentiellement élevé) à investir du temps et des ressources pour coopérer avec ces espèces, que ce soit sur des échelles de temps courtes ou longues. Cela pourrait expliquer la prédominance des interactions négatives observées ici, mais les microbiologistes auront besoin d’autres études pour confirmer ces résultats et vérifier s’ils sont également observés dans la nature, en dehors de l’environnement plus contrôlé d’un laboratoire.


Article original: Foster, K. R., & Bell, T. (2012). Competition, not cooperation, dominates interactions among culturable microbial species. Current biology22(19), 1845-1850.

Image en couverture : Alice van Helden (œuvre personnelle, 19-08-2021), avec l’aimable autorisation de l’autrice.


Traduit par Mathias Bonal