Bactéries, biofilms et PMSI médico-légal


De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Bactéries, biofilms et PMSI médico-légal

Saviez-vous que les microbes sont utilisés en médecine légale pour résoudre des meurtres non résolus ? Leur présence dans un biofilm sur une carcasse ou un cadavre peut aider à élucider les “mystères de la mort”. Plongeons dans les détails.

L’estimation de l’intervalle de submersion post mortem (PMSI) désigne la période entre le moment où un cadavre entre dans un plan d’eau et celui où il est récupéré. Cette estimation permet de déterminer l’heure et le lieu où le corps est tombé dans l’eau. De plus, elle peut réduire le champ de recherche du suspect et orienter l’enquête.

L’estimation du PMSI (dans l’eau) est plus difficile que celle du PMI (interval post-mortem, hors de l’eau). Le premier est affecté par des facteurs supplémentaires (biotiques et abiotiques) tels qu’un métabolisme microbien plus intense, la croissance d’algues et la formation d’adipocire, ce qui le rend plus problématique.

Dans l’eau, notamment en cas de noyade, les pratiques médico-légales deviennent plus complexes. L’eau et les microbes qui y vivent pénètrent dans les voies respiratoires et digestives lors de la noyade, modifiant ainsi le microbiote et les schémas de succession bactérienne (les changements dans les communautés bactériennes au fil du temps). Les déchirures de la peau de la carcasse perturbent davantage ces schémas de succession.

C’est pourquoi la plupart des chercheurs ont préféré étudier les cas de décès terrestres plutôt que ceux survenant dans l’eau en se basant sur les schémas de succession bactérienne. Heureusement, de nombreux autres chercheurs se lancent désormais dans l’étude des cas survenant dans l’eau.

Source d’information : Dmitrijs Finkelbergs et al (2022). Source de l’image : Image originale réalisée par l’auteur à l’aide de Flaticon.com et Inkscape.

Le métabolisme microbien est le principal moteur du processus de décomposition post-mortem, ce qui en fait un élément crucial dans l’estimation précise de l’intervalle de submersion post-mortem (PMSI). L’analyse des schémas de succession bactérienne sur une période prolongée permet d’améliorer la précision de cette estimation.

Mais pourquoi utiliser les bactéries en médecine légale ? 

Nous savons que, par le passé, les médecins légistes fondaient largement (ou grossièrement) leur estimation du PMSI sur la science de l’entomologie médico-légale.. Ils observaient les asticots se déplaçant autour du cadavre ou les stades de développement des mouches à proximité de celui-ci. Cependant, ces techniques comportent elles-mêmes des limites. Elles peuvent être influencées par des facteurs environnementaux affectant les stades de croissance des insectes, ou encore par l’absence d’insectes à certaines périodes ou dans certains environnements.

C’est pourquoi les chercheurs se sont tournés vers les bactéries. Ils évaluent désormais le temps écoulé depuis la mort en analysant les stades de décomposition basés sur les processus bactériens.

Mais comment exactement les bactéries sont-elles utilisées pour déterminer le temps écoulé depuis la mort ?

Stades de décomposition et changements associés dans un cadavre/carcasse au fil du temps. Source d’information : Hidaya Aliouche (2020).  Source de l’image : Tejaswini Petkar.

Dans son article, Hidaya Aliouche (2020) explique les étapes de la décomposition (figure 2). Elle ajoute que différentes communautés bactériennes peuvent indiquer la présence d’un PMSI par le biais d’une succession bactérienne qui peut être étudiée grâce au séquençage à haut débit (HTS). Les données collectées sont ensuite utilisées pour construire des modèles générés par des algorithmes d’apprentissage automatique basés sur les changements dynamiques très temporels des bactéries analysées.

L’étude :

En 2022, Finkelbergs Dmitrijs et son équipe de recherche ont étudié la succession bactérienne (changements de la communauté au fil du temps) dans les environnements aquatiques en utilisant le biofilm épinecrotique sur les carcasses de porcs en décomposition. Le Dr Jennifer L. Pechal définit les bactéries épinecrotiques comme “les organismes résidant ou se déplaçant à la surface des restes en décomposition (la peau ou la bouche)”.

Image représentant la communauté bactérienne dans le biofilm sur le spécimen de porc noyé dans l’eau. Source de l’image : Image modifiée de Susannah Locke (2004) sur biorender.

Pour identifier les phyla bactériens présents sur les carcasses, les scientifiques ont séquencé la région variable 4 (V4) de l’ADNr 16S des carcasses de porcs, soit 131 échantillons en deux essais : été et hiver. L’ensemble des données brutes de séquençage a été publié dans la Sequence Read Archive (SRA) sous le numéro d’accès PRJNA841063 – n’hésitez pas à y jeter un coup d’œil ! 

Les chercheurs ont constaté que la carcasse se décomposait beaucoup plus rapidement en été (21 jours) qu’en hiver (56 jours). Le lot d’été présentait une diversité deux fois plus importante que celui d’hiver ! Ils en ont conclu que les variations saisonnières influencent effectivement la structure de la communauté du biofilm sur la carcasse dans l’eau.

Au cours de l’essai hivernal, ils ont constaté que les Firmicutes et les Bacteroidetes présents à la surface de la carcasse étaient dominants, alors que pendant l’été, les Firmicutes étaient surtout présents dans la communauté épinecrotique.

De plus, les bactéries dominantes dans la communauté épinecrotique (sur la nécrose) étaient principalement hétérotrophes et/ou détritivores, alors que dans la communauté épilithique (sur une surface rocheuse), elles étaient principalement autotrophes.

Compte tenu des observations et des résultats déduits, le Dr F. Dmitrijs propose d’utiliser les schémas de succession du biofilm épilithique coexistant avec le biofilm épinecrotique comme contrôle temporel pour l’estimation du PMSI.

Peut-être un meilleur aperçu de la dynamique changeante des bactéries pendant la décomposition des carcasses ? 

Le travail du Dr C. Hyun (2019) est un bon modèle pour comprendre la dynamique bactérienne au cours des différentes étapes de la décomposition. Le Dr F. Dmitrijs compare ce travail avec le sien pour comparer les communautés bactériennes et avoir une idée de la dynamique entre les différents phyla observés.

Dans l’étude de Hyung, les protéobactéries étaient le phylum le plus dominant, qui a diminué avec le temps. Les Firmicutes ont commencé à dominer au fur et à mesure que la décomposition progressait. Les Bacteroidetes n’ont été détectés qu’aux stades frais et gonflé. Les actinobactéries trouvées sur la peau, qui représentaient initialement la majorité des communautés, ont disparu au cours du stade sec.

F. Dmitrijs a montré que les protéobactéries et les Firmicutes étaient initialement dominantes – avant même que le corps ne soit entré dans l’eau. Les protéobactéries ont dominé tout au long de la décomposition. Les Firmicutes, pour leur part, ont diminué au début, mais ont ensuite augmenté leur abondance pendant la phase de gonflement. Les Bacteroidetes ont d’abord augmenté, puis diminué, et enfin repris jusqu’à ce que la carcasse soit dans sa phase d’enfoncement. Les acidobactéries ont été présentes de manière opportuniste une fois de temps en temps tout au long de la décomposition.

Bien que des bactéries similaires aient été observées dans les deux études, leur abondance variait considérablement et de manière contrastée, ce qui a permis de dégager des tendances intéressantes. Cette comparaison nous aide à identifier les acteurs clés (les bactéries) et permet d’élucider le mystère de qui se cache derrière les différentes tendances observées dans les deux études.

Implications de l’étude et perspectives de recherche :

Leurs travaux ont montré comment la dynamique bactérienne et les schémas de succession évoluent en fonction de la saison et des facteurs environnementaux. Sur cette base, ils suggèrent que d’autres recherches soient menées pour explorer l’effet de chaque condition environnementale (température, lumière et qualité de l’eau) sur le taux de décomposition de la carcasse.

L’image ci-dessus montre les sources potentielles de microbiote en médecine légale. Source de l’image : Jake M. Robinson et al (2021)

Ils espèrent également que d’autres études permettront d’élargir le champ d’application de la microbiologie médico-légale. Cette étude, affirment-ils, “fournit des preuves irréfutables que la succession bactérienne dans le biofilm épinecrotique a un potentiel important pour être utilisée pour l’estimation du PMSI dans les enquêtes médico-légales sur les cadavres submergés”.

L’auteur de cet article est (certainement) impatient de voir plus de microbiologie médico-légale en action, et vous ?


Article original: Dmitrijs Finkelbergs et al (2022). Bacterial Succession in Microbial Biofilm as a Potential Indicator for Postmortem Submersion Interval Estimation.  Frontiers in Microbiology; 13. Doi: https://doi.org/10.3389/fmicb.2022.951707   

Additional references:

https://www.news-medical.net/life-sciences/Microbial-Succession-as-a-Forensic-Tool-Estimating-time-of-death.aspx

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Traduit par Lucie Malard