
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Merveilles microbiennes : Sauver la Terre, un colorant à la fois
Lorsque vous mangez quelque chose, quelles sont les choses que vous remarquez ? L’odeur et l’apparence de l’aliment, y compris sa couleur. Dans cet article, nous allons comprendre comment les microbes peuvent être utilisés pour produire des colorants alimentaires, un aspect crucial de tout aliment ou boisson puisqu’il nous renseigne sur leur qualité, leur fraîcheur et leur saveur. Des études ont montré que les colorants alimentaires synthétiques peuvent provoquer des réactions allergiques. Le colorant rouge est un colorant largement utilisé dans de nombreux produits alimentaires et boissons, notamment Rice Krispies ou Mountain Dew Code Red. Il existe donc une forte demande de colorants alimentaires naturels.
La bétanine est un colorant rouge qui peut être extrait des betteraves rouges. L’extraction d’un pigment à partir de sa source naturelle peut constituer un gaspillage et un processus inefficace étant donné la faible quantité de pigment obtenue par rapport aux ressources consacrées à la culture de la plante. Les auteurs de cette étude proposent une source plus durable de bétanine. Ils ont conçu Yarrowia lipolytica, une levure qui se prête à la fermentation industrielle. (En savoir plus sur les utilisations de la levure pour améliorer l’alimentation humaine et les boissons)
Les auteurs ont étudié la voie de biosynthèse de la bétanine et ont recherché des variantes d’enzymes catalytiquement favorables dans les levures afin de sélectionner les gènes des enzymes les plus performants (maximisant l’efficacité du produit désiré généré à partir du substrat) et d’introduire ces gènes dans un organisme cible. La voie de biosynthèse est un bâtiment à plusieurs étages dont chaque étage est constitué de matériaux différents (analogues aux différentes enzymes). Chaque fois, avant de construire l’étage, il faudrait tester différentes options de matériaux avant de choisir la meilleure option pour cet étage.
C’est exactement ce que les scientifiques ont fait. Leur ingénierie a fonctionné ! La culture de la levure était de couleur orange. Il s’avère qu’ils ont fabriqué le cousin instable de la bétanine, la bétanidine. Pour convertir la bétanidine en bétanine, ils ont ajouté une autre enzyme après un nouveau criblage. Il est intéressant de noter que cela a permis à la levure de sécréter de la bétanine (60 %) et son jumeau identique, l’isobétanine. Les jumeaux identiques, comme leur nom l’indique, se ressemblent. Ici aussi, c’était le cas, et les auteurs ont donc décidé de traiter l’isobétanine de la même manière pour leur utilisation en tant que colorant alimentaire (ils ont même vérifié les betteraves et ont constaté qu’elles contenaient également 45 % d’isobétanine).
Avant de passer à ce que les auteurs ont fait ensuite, examinons une situation. Vous êtes assis dans une pièce chaude. Que faites-vous ? Vous allumez le ventilateur et vous vous sentez plus frais. Que faites-vous ensuite ? Vous éteignez le ventilateur. Il s’agit d’une boucle de rétroaction que l’on retrouve également dans nos cellules. Ces boucles de rétroaction existent pour informer la cellule du moment où elle doit arrêter de produire quelque chose en excès. Toutefois, dans le cas présent, nous avons besoin que le pigment soit produit en excès. Les auteurs ont donc créé un gène insensible à la rétroaction pour améliorer la production du colorant rouge.

Pour en revenir à notre bâtiment à plusieurs étages, après la construction, des étapes de ponçage et de peinture sont entreprises pour embellir le projet. Les auteurs ont pris des mesures similaires pour éliminer la formation de produits secondaires afin d’améliorer la production de bétanine.
Ils ont ensuite testé la levure modifiée dans un petit bioréacteur afin d’évaluer la faisabilité commerciale et la durabilité environnementale de la production de bétanine. Ils ont pu produire 1197 mg de colorant rouge en 48 heures. En revanche, 100 g de betteraves cultivées pendant 50 jours ne produisent que 200 mg de colorant rouge. Pas besoin d’une analyse mathématique compliquée pour comprendre leur succès stupéfiant ! Cependant, les auteurs présentent des calculs détaillés montrant que leur méthode est bien meilleure pour l’environnement à de multiples échelles et qu’il s’agit d’une stratégie économiquement viable. Après tout, tout produit de qualité alimentaire doit être à la fois économiquement et écologiquement viable pour être commercialisé avec succès à notre époque.
Article original: Thomsen, P.T., Meramo, S., Ninivaggi, L. et al. Beet red food colourant can be produced more sustainably with engineered Yarrowia lipolytica. Nat Microbiol 8, 2290–2303 (2023). https://doi.org/10.1038/s41564-023-01517-5
Image: Photo by Geraud pfeiffer from Pexels: https://www.pexels.com/photo/beetroot-puree-on-plates-on-table-6607319/