
De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs
Les résidents “rares” du huitième continent
Charles Moore a été le premier à découvrir le “huitième continent” en revenant d’une course de bateaux. Il a trouvé une masse si large qu’il lui a fallu 7 jours pour la traverser. Cette énorme masse était constituée de plastique flottant dans la mer. Cela a réveillé la communauté scientifique qui l’a baptisée “The Great Pacific Garbage Patch” (la grande plaque de déchets du Pacifique).
Mais c’est en 2010 que le Dr Linda Amaral Zettler a baptisé la communauté vivant sur ce continent la plastisphère. La plastisphère est un écosystème extrêmement diversifié comprenant des organismes de photosynthèse, des prédateurs, des proies, des symbiotes et des parasites. Le substrat de la plastisphère est constitué de microplastiques (MP), c’est-à-dire de débris de plastique de moins de 5 mm, formés principalement par la décomposition de plastiques plus gros ou comme sous-produits de certains processus industriels. Le plastique persistant longtemps, les microbes de la plastisphère peuvent être transportés sur de longues distances, ce qui en fait une source potentielle d’espèces envahissantes.
LA COLONISATION DE LA PLASTISPHÈRE :
La colonisation de la surface de ces microplastiques (MP) est influencée par ce que l’on appelle “l’effet Zobel”. Selon cet effet, lorsque les plastiques sont immergés dans l’eau, ils attirent le carbone, l’azote, l’oxygène et l’eau qui, à leur tour, attirent les microbes et conduisent à la formation d’un biofilm.
La formation d’une plastisphère se fait en trois grandes étapes :
- Attachement microbien
- Sécrétion de substances polymériques extracellulaires (EPS) : Les EPS sont des polymères naturels sécrétés par les microbes dans leur environnement. Elles jouent un rôle clé dans l’établissement des biofilms.
- Prolifération microbienne

Tout morceau de plastique flottant dans l’océan “choisit” ses espèces pionnières en fonction de ses propriétés physiques. Les communautés pionnières ont un impact sur les espèces colonisatrices ultérieures.
Les bactéries pionnières occupent la surface du plastique par attachement réversible, formant la première couche du biofilm. Cela diminue l’hydrophobicité de la surface (propriété de répulsion de l’eau) de la surface du MP. Ces bactéries pionnières sécrètent également des EPS qui augmentent l’adhérence de la surface plastique, permettant ainsi la colonisation ultérieure de micro-organismes secondaires.
Les micro-organismes secondaires qui colonisent la surface de la MP s’y attachent de manière irréversible en formant des pili (structures semblables à des poils à la surface des cellules procaryotes, qui aident la cellule à adhérer aux surfaces) et des protéines d’adhésion. Elles sécrètent également des EPS, qui fournissent encore plus de sites d’attachement sur la surface plastique. Finalement, la compétition et la collaboration entre les différents micro-organismes aboutissent à la formation d’un biofilm mature.
Il faut généralement une semaine ou moins pour observer le biofilm primaire, tandis que le biofilm secondaire met plusieurs mois à se former.
Alors que de nombreux efforts de recherche sont déployés pour comprendre plus en détail les microbes de la plastisphère, leurs schémas de succession et leurs rôles écologiques, des scientifiques de l’université technologique de Chine du Sud ont fait des découvertes choquantes sur les bactéries occupant les MP, qui pourraient avoir de sérieuses implications pour l’homme.
Les chercheurs ont mené l’étude en utilisant des microcosmes (environnements artificiels qui imitent les systèmes naturels) pour étudier l’impact de quatre types de plastiques (polyéthylène, acide polylactique, polystyrène et chlorure de polyvinyle) sur les écosystèmes fluviaux. Les plastiques ont été vieillis pendant 90 jours par rayonnement ultraviolet, puis placés sur le tamis du microcosme pour représenter les plastiques flottants dans la rivière. L’eau de la rivière du site a été pompée en continu dans les microcosmes pour maintenir un apport d’eau fraîche, et l’étude sur les microcosmes a duré 90 jours. Les chercheurs ont utilisé une stratégie d’échantillonnage basée sur des séries temporelles pour explorer la dynamique à long terme des communautés de micro-organismes habitant la plastisphère.

Image source: https://www.whoi.edu/oceanus/feature/behold-the-plastisphere/
Dans cette recherche, les scientifiques ont constaté que la richesse et la diversité des taxons rares étaient considérablement plus élevées que celles des taxons abondants. Auparavant, les taxons microbiens rares étaient considérés comme des groupes peu menaçants en raison de leur faible abondance dans les écosystèmes. On pensait qu’ils avaient une importance écologique limitée parce qu’ils n’étaient pas couramment observés et qu’ils étaient supposés avoir un impact minimal sur la dynamique de l’écosystème. Cependant, dans la plastisphère, les taxons rares ont joué un rôle crucial dans la formation d’interactions microbiennes complexes et stables en occupant des rôles clés dans les réseaux microbiens. Les écosystèmes rares, connus sous le nom de “banques de semences”, peuvent servir de réservoirs pour les micro-organismes qui ont la capacité de répondre aux changements de leur environnement et de devenir dominants dans des conditions favorables. Ces micro-organismes, présents en faible abondance, peuvent constituer une source de diversité et de résilience au sein des écosystèmes, car ils peuvent posséder des adaptations uniques qui leur permettent de prospérer dans des conditions spécifiques. Lorsque des changements environnementaux se produisent, ces micro-organismes rares peuvent devenir plus abondants et jouer un rôle clé dans les réponses écologiques aux conditions changeantes, influençant potentiellement la structure et la fonction globales de l’écosystème.
Pour l’homme, cela concerne de nombreux secteurs. Une conséquence potentielle est l’apparition de nouvelles maladies qui peuvent présenter des risques pour la santé humaine et le bétail, et perturber les pratiques agricoles et la production alimentaire. La résistance aux antibiotiques est également un sujet de préoccupation. Certains microbes rares peuvent posséder des gènes qui leur confèrent une résistance aux antibiotiques et qui peuvent être transmis à d’autres micro-organismes par transfert horizontal de gènes. Si ces microbes rares deviennent abondants, ils pourraient potentiellement propager des gènes de résistance aux antibiotiques à d’autres micro-organismes dans l’environnement, y compris des agents pathogènes dangereux. Cela peut exacerber le problème mondial de la résistance aux antibiotiques, rendant plus difficile le traitement des infections chez l’homme et l’animal. La perturbation des processus industriels est un autre sujet de préoccupation. Certains microbes rares sont utilisés dans divers processus industriels, tels que le traitement des eaux usées, la fermentation pour la production d’aliments et de boissons, et la production de biocarburants. Si ces microbes rares deviennent abondants, ils risquent de perturber ces processus industriels, ce qui entraînerait des problèmes économiques et opérationnels.
Dans l’ensemble, la nouvelle compréhension de l’importance écologique des microbes rares remet en question les hypothèses antérieures et met en évidence le rôle complexe qu’ils jouent dans les écosystèmes. S’ils peuvent contribuer à la résilience des écosystèmes lorsqu’ils sont rares, leur abondance peut également avoir des conséquences importantes, allant de la perturbation de l’environnement à la résistance aux antibiotiques. Il est nécessaire de poursuivre les recherches et d’examiner attentivement les effets potentiels de l’abondance des microbes rares pour prendre des décisions éclairées et assurer une gestion durable des écosystèmes.
Traduit par Lucie Malard
Article original: Deciphering the distinct successional patterns and potential roles of abundant and rare microbial taxa of urban riverine plastisphere. Minghan Zhu , Xin Qi , Yibo Yuan , Heyang Zhou , Xufa Rong , Zhi Dang , Hua Yin doi: https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2023.131080
Featured image: https://www.whoi.edu/oceanus/feature/behold-the-plastisphere/