Instincts maternels

                              

De la microbiologie pour ceux qui ont les crocs


Instincts maternels

Immunité du nouveau-né

Dès leur naissance, les nouveau-nés sont exposés à un risque élevé d’infection bactérienne, car leur système immunitaire est encore en cours de développement. Heureusement, les mères transfèrent des anticorps protecteurs à leurs bébés à la fois dans l’utérus et après la naissance par le biais du lait maternel, fournissant ainsi une première couche de protection contre l’exposition aux agents pathogènes. Ces anticorps transférés peuvent cibler efficacement les agents pathogènes qui sont exposés à l’extérieur des cellules (c’est-à-dire extracellulaires), mais on ne sait pas s’ils peuvent combattre les agents pathogènes qui se cachent à l’intérieur des cellules (c’est-à-dire intracellulaires). Par conséquent, les infections intracellulaires peuvent constituer une menace importante pour la santé des nouveau-nés. 

Récemment, une étude publiée dans Nature a révélé que les anticorps maternels transférés peuvent en fait protéger contre les agents pathogènes intracellulaires. Les chercheurs du laboratoire du Dr John Erickson (Cincinnati Children’s Hospital Medical Center) ont découvert que la grossesse déclenche une modification spécifique des anticorps maternels qui offre une protection contre une infection intracellulaire particulière causée par Listeria monocytogenes (figure 1). Cet agent pathogène peut provoquer une infection bactérienne grave, entraînant de la fièvre et des symptômes grippaux. On estime que 1 600 personnes sont infectées par la listériose chaque année, les femmes enceintes et les nouveau-nés étant les plus sensibles. Cette étude ouvre la voie à la mise au point de traitements contre les infections, ainsi qu’à des avancées dans le domaine des thérapies à base d’anticorps et de la mise au point de vaccins.

Représentation cartographique de la modification structurelle qui se produit sur l’anticorps pendant la grossesse pour permettre une protection contre l’infection intracellulaire par Listeria monocytogenes.
Figure réalisée à l’aide de BioRender

Anticorps induits par la grossesse 

L’équipe de chercheurs a mené ses études sur des souris enceintes et des souris nouveau-nées. Ils ont constaté que les souris enceintes immunisées contre Listeria donnaient naissance à des souris présentant des niveaux élevés d’anticorps contre Listeria et donc une plus grande protection contre l’infection. Ces résultats confirment que les anticorps transmis par la mère peuvent effectivement protéger contre les agents pathogènes intracellulaires. Il est toutefois intéressant de noter que les souris nouveau-nées ayant reçu des anticorps artificiellement transférés de souris immunisées contre la Listeria mais non enceintes étaient toujours sensibles à l’infection. Cela révèle que la grossesse doit déclencher une modification spécifique des anticorps qui “active” leur immunité.  

Intrigués par ce résultat, les chercheurs ont ensuite cherché à savoir comment ces anticorps acquièrent leur pouvoir protecteur. Il s’avère qu’une très petite modification structurelle est responsable. Cette modification se produit sur une molécule de sucre, connue sous le nom d’acide sialique, qui se trouve à la surface de l’anticorps. L’équipe de recherche a constaté que pendant la grossesse, 6 atomes sont retirés de l’acide sialique, dans un processus connu sous le nom de “désacylation” (figure 2). Les chercheurs ont émis l’hypothèse que cette désacylation est catalysée par une enzyme appelée “SIAE”, dont on sait qu’elle est davantage produite pendant la grossesse. Une fois désacylé, l’anticorps peut alors être reconnu par des récepteurs spécifiques qui activent l’immunité contre Listeria.

La désacylation de l’acide sialique, catalysée par l’enzyme SIAE dont la production est plus importante pendant la grossesse.

Une nouvelle perspective sur les thérapies à base d’anticorps

Il est intéressant de noter que des anticorps produits en laboratoire et contenant la même modification de l’acide sialique se sont révélés capables de protéger des souris nouveau-nées qui n’avaient pas reçu d’anticorps de leur mère. Imiter la désacylation et d’autres petites modifications structurelles sur les sucres des anticorps constitue une stratégie prometteuse pour développer des thérapies ciblant non seulement la Listeria, mais aussi une série d’autres infections intracellulaires telles que le VIH et le virus respiratoire syncytial (VRS). Cette recherche souligne l’importance d’étudier les anticorps à travers le prisme de la grossesse afin de dévoiler de nouvelles altérations moléculaires pour les thérapies à base d’anticorps et le développement de vaccins.


Article original: Erickson, J. J.; Archer-Hartmann, S.; Yarawsky, A. E.; Miller, J. L. C.; Seveau, S.; Shao, T.-Y.; Severance, A. L.; Miller-Handley, H.; Wu, Y.; Pham, G.; Wasik, B. R.; Parrish, C. R.; Hu, Y.-C.; Lau, J. T. Y.; Azadi, P.; Herr, A. B.; Way, S. S. Pregnancy Enables Antibody Protection against Intracellular Infection. Nature 2022, 606, 769–775. https://doi.org/10.1038/s41586-022-04816-9.

Image: Figure réalisée à l’aide de BioRender

Traduit par Lucie Malard